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À Rome, ce genre de vengeance n’atteint guère que les hommes, et ne s’attaque presque jamais aux choses. Le commun des voyageurs s’étonne en effet de voir les Romains, dans leurs contes et leurs facéties, se moquer si volontiers de leurs prêtres, pour lesquels ils montrent en apparence un respect qui approche de l’adoration. On a dit à ce propos qu’ils jouaient fort habilement la comédie, on les a même accusés d’hypocrisie, et l’on a été jusqu’à mettre en doute la sincérité de leurs croyances. On n’a pas voulu voir que c’était du prêtre qu’ils se moquaient et non de la religion, et qu’ils distinguaient soigneusement le dogme de ses ministres. Ils voient l’homme de trop près, et dans un trop complet déshabillé, pour ne pas être frappés de ses ridicules ; le dogme au contraire réside pour eux dans une sphère éclatante et sublime, entourée des triples voiles de l’adoration et du mystère. Les moqueries dirigées contre les abbés et les cardinaux romains n’atteignent pas plus la religion que les épigrammes de nos petits journaux contre les députés et les ministres n’atteignent la constitution. Les gens attaqués peuvent seuls leur donner cette portée, qu’elles n’ont pas. La moquerie romaine est celle du Lutrin, et non pas la moquerie philosophique de Rabelais, encore moins celle de Voltaire. Si parfois, à travers l’homme, les Romains s’attaquent à quelques abus de la religion, c’est plutôt pour se divertir à propos de ces abus que pour essayer de les réformer. Ils ont vu échouer trop d’attaques de ce genre pour n’en pas comprendre l’inutilité. Avant tout, ils veulent rire, et, comme des écoliers espiègles, ils saisissent l’occasion de se divertir, toutes les fois qu’ils la trouvent, sans grand souci du mal qu’ils peuvent faire.

Ces différentes manières d’être du peuple et de la bourgeoisie de Rome, et ces nuances tranchées de leur caractère, sont résumées sur la scène populaire par deux types fort distincts, également vrais tous deux : Meo Patacca et Cassandrino, Meo Patacca le Trasteverin, Cassandrino le bourgeois aisé.

Meo Patacca est le favori de la populace romaine. Les érudits prétendent qu’il descend de Maccus, ce paysan osque, héros des atellanes, dont il a la rustique et spirituelle insolence. Quoi qu’il en soit, Meo Patacca est un brave de la vieille roche ; il ne s’est jamais servi, comme les bravi actuels, d’une pierre cachée dans la main pour frapper ses adversaires à la tempe, ou d’un petit couteau de poche pour leur faire au ventre une étroite boutonnière. Il portait naguère un bon poignard à sa ceinture, et, le poignard étant défendu, il l’a remplacé par un bâton noueux ; son visage brun est encadré par