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LE THÉÂTRE EN ITALIE.

d’énormes favoris noirs, et, sous son grand chapeau ou fungo (champignon), son œil brille d’un éclat vraiment fulminant.

Meo Patacca n’y va pas non plus de main morte ; il ne peut souffrir la contradiction, et il ne connaît qu’un seul moyen de persuasion : c’est d’assommer ses contradicteurs. Meo Patacca parle, du reste, le dialecte romain dans toute sa pureté. Il ne prononce pas une phrase sans en répéter le mot le plus énergique ; il ne dit pas à ses compagnons qui raisonnent : Faites cela ; — mais : Je veux que vous fassiez cela, je le veux[1]. Il avale toutes les syllabes finales des infinitifs. Il dit sape pour sapere, et fa pour fare ; ou bien il remplace les dernières syllabes de ces mots par la particule ne qu’il place à tout propos ; alors il dit fane pour fare, sapene pour sapere, chine pour chi, quine pour qui. Il se plaît encore à déplacer les l et les r ; quand il parle de sa gloire, il ne dit pas gloria, mais grolia, et jamais vous ne l’entendrez prononcer un d ; aussi dit-il quanno pour quando, anna pour andare.

D’autres fois il vous paraîtra tout-à-fait incompréhensible. Si par exemple vous le priez de vous rendre un service, et qu’il soit dans un moment de belle humeur et d’activité : mo ! s’écriera-t-il d’une voix tonnante. Que veut-il dire par-là ? Vous avez beau consulter tous les vocabulaires italiens, vous n’en saurez pas davantage, à moins qu’un des compagnons du bravo ne vous traduise ce mo par adesso ; vous comprenez alors qu’il a voulu dire tout de suite.

Meo Patacca ignore sans doute qu’il a eu Maccus pour aïeul. Il se prétend toutefois l’héritier direct des anciens Romains ; il vous parle du forum comme s’il y avait vécu, et de Marcus Brutus, de Jules César, et surtout de l’empereur Néron, comme d’amis qu’il aurait quittés la veille. Ce n’est cependant que vers la fin du XVIIe siècle, à l’époque du siége de Vienne par les Turcs, que Meo Patacca a commencé à faire parler de lui. Un poème héroïque en douze chants nous raconte ses aventures. Meo Patacca, vers ce temps-là, végétait sous quelque portail d’église des environs de la place Navone, vivant d’herbes sauvages qu’il allait cueillir dans la campagna, et ne mangeant qu’une fois l’an une poignée de friture ou une grillade de viande salée. Meo Patacca n’en était pas moins l’un des citoyens les plus fiers di sta gran Roma[2], comme disent encore les savetiers de Trastevere.

À la nouvelle du danger qui menace Vienne, ville chrétienne comme

  1. Par exemple : la vô, fini, la vò ; je veux finir cela, je le veux.
  2. Sta pour questa.