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LE THÉÂTRE EN ITALIE.

l’amour plus positif dont il vient d’être subitement pris pour la prima donna de son théâtre.

Malheureusement Cassandrino a pour rival le maestro. Le maestro est dans toute la fleur de la jeunesse. Il aime le plaisir et la bonne chère ; ses cheveux sont blonds, ses yeux bleus, son esprit est plus séduisant encore que sa personne, et il porte un bel habit vigogne. On reconnaît sur-le-champ à ce portrait Rossini, fameux par les ravages qu’il a faits parmi les reines de théâtre et les duchesses italiennes, fameux surtout par ce bel habit vigogne qui mit en gaieté toute la salle d’Argentine, le jour de la première représentation du Barbier, et qui faillit faire tomber la pièce. Le moyen de lutter contre un si formidable rival ? Cassandrino, après l’avoir long-temps cherché, croit enfin l’avoir trouvé. Il remplace sa perruque poudrée par une perruque blonde, il saupoudre de jaune ses sourcils blancs, il quitte le surtout écarlate, il endosse un habit vigogne, et, dans cet accoutrement vainqueur, il se présente à son adorée. Celle-ci feint malicieusement de ne pas le reconnaître ; et comme il s’est fait annoncer sous le nom d’Ettore Cassandrino : — Vous êtes sans doute le fils de ce bon M. Cassandrino ? lui dit-elle avec une feinte affabilité. — Nullement, madame. — Vous êtes donc son neveu ? — Pas davantage. — Vous avez tort de vous en défendre ; M. Cassandrino est un bien respectable vieillard. Je suis persuadée qu’il n’a oublié aucun de ses neveux dans son testament. Le pauvre homme ! il est bien cassé ; encore un an ou deux, et chacun de vous aura sa part. — Je le croyais au contraire un homme dans toute la force de l’âge, sage, rangé, et surtout extrêmement généreux… On le dit aussi excellent comédien. Peut-être a-t-il voulu rire et mystifier ses nouveaux camarades. — Lui, sage, oh ! non pas ; c’est un vieux débauché, qui se donne les airs de faire la cour à toutes les jolies filles. — Il n’en adore qu’une seule, et c’est… — Ne me parlez pas de sa générosité ; il est si avare, qu’il n’a pas encore fait le plus petit présent aux dames de la troupe qu’il a rassemblée. — C’est qu’il ne veut leur en faire que de magnifiques. — Je n’en crois rien. — Tenez, par exemple, il m’a chargé de vous offrir cette bague ; c’est un superbe brillant qu’un juif de Civita-Vecchia lui a vendu.

Cassandrino veut passer au doigt de la prima donna un anneau orné d’une énorme pierre. — Ce brillant m’a tout l’air d’un morceau de cristal taillé ? — En conscience, c’est un diamant de la plus belle eau. — Oui, d’une aussi belle eau que celle que contenaient les carafes auxquelles il a pu autrefois servir de bouchon. — Vous êtes