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tontimoroumenos : « Si la pièce est pénible à jouer, on vient à moi ; si elle est facile, on la porte à une autre troupe. » On ne peut douter non plus que les auteurs ne distribuassent eux-mêmes les rôles, y compris celui du prologue :

Ne cui sit vostrum mirum, cur partes seni
Poeta dederit, quæ sunt adolescentium[1].

Il ne faut pas opposer à cette déclaration formelle le passage suivant des Offices de Cicéron, et en inférer que les acteurs s’attribuaient les rôles qui leur convenaient : Scenici non optimas, sed sibi accommodatissimas fabulas, etc.… c’est-à-dire : « Les comédiens ne choisissent pas les meilleures pièces, mais celles qui peuvent faire briller le plus leur talent. L’acteur qui a la voix sonore joue les Épigones et Médus, celui qui excelle dans le geste, Ménalippe et Clytemnestre. Je me souviens de Rupilius ; il paraissait toujours dans Antiope ; Ésope se montrait rarement dans Ajax. Quoi ! un histrion sur le théâtre saura ce qu’il peut jouer, et le sage sur la scène de la vie ignorera le rôle qui lui convient[2] ! » Remarquons d’abord que Cicéron ne dit pas que les acteurs choisissaient les rôles qui leur convenaient, partes sibi accommodatissimas, mais les pièces, fabulas. Il est, suivant moi, question ici des protagonistes-directeurs qui remettaient au théâtre des ouvrages d’auteurs morts. En choisissant leurs rôles dans ces pièces, ils n’agissaient pas comme acteurs, mais comme protagonistes et hypodidascales. D’ailleurs, le droit que le poète et ses tenans-lieu avaient de distribuer les rôles, subsista jusque dans les bas siècles. Simplicius dit, dans son Commentaire sur le Manuel d’Épictète, que le privilége du didascale est d’assigner à chacun des acteurs le personnage qui lui convient[3].

Cependant, ce droit n’était pas absolu. Il existait entre les trois principaux acteurs une sorte de hiérarchie que la volonté du poète aurait pu difficilement intervertir. Quelques critiques ont abusé du passage suivant de Lucien : « Vous avez vu souvent, dit-il, des acteurs tragiques jouer, selon le besoin des pièces qui leur sont confiées, tantôt le rôle de Créon, tantôt celui de Priam ou d’Agamemnon. Le comédien que tout à l’heure vous avez vu sous les traits de Cécrops ou d’Érechtée, se montre tout à coup dans un rôle d’esclave, si telle est la volonté du poète, ὑπὸ τοῦ ποιητοῦ κεκελευσμένος[4]. » Ces derniers

  1. Terent., Heautont., prolog., v. 1, seq.
  2. Cicer., De offic., lib. I, cap. XXXI.
  3. Simplic., Ad Epict. enchir., cap. XXIII, pag. 127, ed. Salm.
  4. Lucian., Menipp. sive Necyom., cap. XVI.