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POÈTES MODERNES DE LA FRANCE.

raine popularité. Dès-lors, soit impulsion spontanée, soit calcul, ce fut le privilége acquis de M. Delavigne de confondre tous ses sentimens avec ceux de la nation. Durant toute une période, ses compositions poétiques forment une sorte d’histoire tissue en fragmens élégiaques ou en récits dithyrambiques, dans laquelle chaque évènement essentiel trouve son écho, chaque impression publique son contre-coup, toute pensée nationale son reflet. Les élégies sur la Vie et la Mort de Jeanne d’Arc émanent sans contredit de la même inspiration que les premières Messéniennes ; il s’agit encore de la gloire de la France, célébrée malgré ses revers, et rappelée sans cesse à l’ennemi dans le passé aussi bien que dans le présent. Seulement, comme la nation se trouvait quelque peu apaisée, grace à un ordre apparent et à une façon de charte réparatrice, comme les désastres de 1815 s’oubliaient de jour en jour en d’autres préoccupations, le poète, attentif au mouvement des esprits, s’était lui-même calmé à l’unisson, et avait éteint par degrés ses premiers cris énergiques de douleur. Ce n’étaient donc plus contre l’étranger les imprécations directes d’autrefois, les mêmes désirs passionnés et véhémens, mais simplement encore une allusion à nos antiques prouesses et à notre vieil esprit d’indépendance, une sorte de qui vive prévoyant jeté par intervalle ; cela entretenait à merveille l’esprit national sans trop d’éclatante opposition, et maintenait à peu de risque la patriotique renommée du poète. À tout prendre, d’ailleurs, une héroïque infortune était déplorée noblement, et la vierge de Vaucouleurs trouvait, au pied de son bûcher, une muse vengeresse.

Qu’ils sont nobles dans leur courroux !
Qu’il est beau d’insulter un bras chargé d’entraves !
La voyant sans défense, ils s’écriaient ces braves :
Qu’elle meure ! elle a contre nous
Des esprits infernaux suscité la magie…
Lâches ! que lui reprochez-vous ?
D’un courage inspiré la brûlante énergie,
L’amour de nous Français, le mépris du danger,
Voilà sa magie et ses charmes ;
En faut-il d’autres que des armes
Pour combattre, pour vaincre et punir l’étranger ?

Ainsi en fut-il pour chaque évènement politique qui éclatait d’année en année dans l’Europe pendant cette période sourdement agitée de la restauration. Naples vient-elle à essayer d’une révolution com-