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POÈTES MODERNES DE LA FRANCE.

destinée de cet autre Homère qui, si Dieu l’eût permis, fût mort comme Achille. Peut-être les vers qu’il fit entendre à cette occasion ont-ils le tort de rappeler une autre pièce célèbre et plus fortement inspirée en l’honneur du même génie mystérieux. Tel fut donc toujours M. Casimir Delavigne, dès le début même, employant sa muse au service de toutes les causes populaires, se faisant l’écho sonore, le contrecoup harmonieux de la pensée publique, aussi bien dans ses apothéoses que dans ses colères, apologiste de l’opinion plus que son conseiller ; par là toujours écouté, toujours applaudi à la suite, mais jamais ne précédant, n’avertissant les instincts publics, jamais ne sonnant la charge d’aucune idée aventureuse, d’aucun sentiment nouveau.

Dans l’intervalle de ses publications lyriques, M. Casimir Delavigne, qui se sentait de plus en plus appelé aux suffrages de la foule, avait abordé le théâtre. Déjà, fort jeune, il s’était essayé dans une tragédie intitulée Polixène, laquelle était condamnée à ne pas voir le jour. Il y a, comme on sait, dans toute vie d’homme d’esprit ou de talent, vers la sortie du collége environ, quelque bonne tragédie classique où la première veine se dépense, et qui doit à jamais rester à l’état d’essai primitif non avenu, tout au plus pierre d’attente pour des blocs futurs mieux équarris, mais plus souvent encore jalon solitaire et abandonné pour d’autres traces moins incertaines. M. Hugo lui-même, dont la vocation n’est certes pas fort dramatique, a, si je ne me trompe, écrit avant ses odes, avant toutes ses œuvres, une tragédie de collége, ayant pour titre Irtamène. M. Casimir Delavigne, destiné aux succès de théâtre, pouvait refuser moins que tout autre ce premier tribut à l’ardeur d’une muse adolescente. Chez lui toutefois, l’avorton obligé ne devait pas tarder à être suivi d’un heureux et complet enfantement. En 1819 parurent les Vêpres siciliennes, tragédie en cinq actes, d’abord reçue à correction, puis refusée au premier théâtre français, avec de singuliers commentaires, s’il faut en croire la chronique[1], et en définitive représentée à l’Odéon, depuis peu relevé de ses ruines par Picard. Si le mérite des Vêpres siciliennes se jugeait au taux de son succès constaté par trois cents représentations, il devrait être réputé immense. Rien, en effet, ne manqua au triomphe de ce noviciat dramatique. La pièce inaugurait une salle nouvelle au bruit d’applaudissemens unanimes ; l’auteur

  1. Une actrice, membre du comité de lecture, motiva, dit-on, fort singulièrement son opposition à la pièce, par l’inconvenance qu’il y aurait à placer le mot vêpres sur l’affiche d’un théâtre.