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mêlée. Phanès, par un nouvel emprunt fait à Corneille, procède du vieil Horace. C’est le soldat brutalement intrépide, le père inflexible qui met l’honneur de ses enfans bien au-dessus de leur vie. Placé en regard de la valeur clémente du Cid, ce sombre courage la fait ressortir à dessein, comme l’ombre fait jaillir plus vivement la lumière sur un tableau. À tout prendre, il y a une idée dramatique dans l’opposition des deux caractères d’Elvire et de Rodrigue, dans cette éducation guerrière, dans cette transformation morale si curieusement réalisées par l’amour. La donnée du jeune Rodrigue, sans être tout-à-fait neuve d’ailleurs, a un effet original dans l’ensemble : le poète a su nous intéresser, même aux faiblesses du fils de Phanès, et lorsque enfin le jeune novice trouve au fond de son ame l’héroïsme de ses ancêtres, lorsque, pour venger son frère Fernand, tué aux portes de Valence, il défait Ben-Saïd ; lorsque, plus tard, il rapporte vaillamment Tizonade, cette épée que le Cid défaillant a laissée aux mains des ennemis, Rodrigue achève de conquérir toutes nos sympathies. — Le tort grave de la Fille du Cid est d’être absolument vide d’action ; cette tragédie, étroitement enfermée, du reste, dans le triangle rigoureux des unités, manque de centre et d’intérêt dramatique ; vainement prétendrait-on démêler la trame et le nœud d’une composition qui n’est, d’un bout à l’autre, qu’un long et brillant propos de chevaliers. Aucun personnage ne tend à une fin logique à travers les évolutions de la péripétie. La bataille deux fois livrée sous les murs de Valence, n’apporte pas même le plus léger retentissement à l’oreille du spectateur. Enfin le vieux Cid, accablé par l’âge et les fatigues du combat, de même que dans le Romancero, vient doucement expirer sur la scène, pour confirmer les tristes pressentimens que naguère il révélait à sa fille. Le Cid a eu un rêve dans lequel il a vu Chimène qui l’appelait à elle, il l’a vue :

Toujours belle
Belle comme à vingt ans, mais morte cette fois.
J’errais sous son balcon, chantant à demi-voix
L’air qui fut si long-temps sa douce fantaisie.
Son bras avec lenteur leva la jalousie ;
Ravi, je crus encor la voir sous ces atours
Que préféraient mes yeux au temps de nos amours ;
C’est sous son blanc linceul qu’elle m’est apparue.
Pâle, elle m’a souri ; puis dans l’air suspendue,
Vers l’étoile du soir elle a levé sa main,
Et s’est évanouie en disant : À demain !