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reil au juste d’Horace. Ce qui surtout l’honore, ce qui le propose en exemple aux écrivains de tous les temps, c’est son respect invariable pour lui-même et pour le public dont il relève, c’est sa préoccupation constante du mieux possible et du triomphe mûrement préparé. Si M. Casimir Delavigne ne se fût point distingué par son rôle littéraire, à coup sûr son ame loyale et sa vie d’honnête homme l’eussent encore marqué à part dans la mêlée confuse des écrivains. Venant après la distinction de l’esprit, ce lustre moral est comme un trait achevé et comme un dernier coup de pinceau qui complètent sa physionomie individuelle ; en un siècle où la vertu est sans contredit plus rare que le talent, on doit tenir compte à l’écrivain de cette alliance peu commune et qui suppose un accroissement de mérite[1].

Pour être un poète d’une valeur plus puissamment active et aussi plus durable, il a manqué à M. Casimir Delavigne deux importantes facultés, l’initiative et la passion, l’une qu’il n’a jamais osé prendre, et l’autre qu’on ne saurait acquérir. Il n’a certes point la spontanéité ni l’imprévu qui toujours marquent de leur double empreinte l’artiste vraiment créateur. À bien dire, M. Casimir Delavigne n’a pas remué d’idées, il n’a défriché aucun terrain complètement neuf, sondé aucun abîme un peu profond, ou visité des parages lointains et inconnus. Là même où il a porté ses pas avec le plus de succès et quelque velléité hardie, il n’a pourtant laissé après lui aucune bien chaude et bien vive empreinte. Pas une seule fois il n’est arrivé au poète de prendre en main la torche qui éclaire l’avenir, et de crier à son siècle d’une voix prophétique : Suivez-moi ! voici la lumière ! Venu au monde en un temps de fièvre et de rénovation, né en 1793 ou 91, au port du Hâvre, rien ne rappelle dans le poète cette date tant significative. C’est à peine s’il a dérobé quelques pâles étincelles à ce vaste foyer de la révolution dont plus d’un reflet a dû se projeter sur son berceau. On voudrait donc en lui plus de flamme originelle et d’aiguillon toujours présent. Son style même, qui est sa partie

  1. Nous regrettons seulement que, dans une circonstance récente, l’auteur des Messéniennes ait paru démentir de parti-pris cette honnête modération de cœur et d’esprit qui a été jusqu’ici un de ses plus beaux titres. Les cabales académiques font tache à sa loyauté bien connue, et il devrait laisser à d’autres réputés moins intègres les votes haineux ou inintelligens. Prendre parti, dans un objet purement littéraire, pour un savant tout spécial contre un poète éminent que parfois on n’a pas craint d’imiter, c’est laisser voir trop clairement ou qu’on repousse un rival par envie, ou qu’on le méconnaît par injustice ; fâcheuse et irrésistible interprétation, à laquelle, quoi qu’il fasse, il ne saurait échapper.