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affaires, même en supposant que M. Thiers soit homme à les livrer à cette nuance d’opinions, même en supposant, contre toute apparence, que la connaissance et la pratique des affaires ne modifieraient pas les idées du centre gauche sur la nature des devoirs d’un gouvernement. Voilà pour la peur que le centre gauche peut inspirer à l’Europe dans la personne de M. Thiers, qui n’est pas encore, que nous sachions, et qui ne sera pas, nous en avons la confiance, l’exécuteur de ses volontés.

On dira : Les peuples ne sont pas les cabinets, et la France peut avoir de grands embarras en penchant au-delà des limites du 15 avril. Sans doute, à nos yeux, la meilleure ligne est celle qui ne mène pas vers certaines idées impraticables de la gauche (idées qui ne laissent pas que d’être nombreuses), sans toutefois dévier vers celles des idées du côté droit, que nous regardons comme un peu étroites. Toutefois, le gouvernement représentatif n’est pas un gouvernement d’immobilité, et les cabinets étrangers ne s’attendent pas à voir la France plus pétrifiée que n’est l’Angleterre, qui passe des tories aux whigs modérés et des whigs modérés aux whigs purs, sans se créer des démêlés avec l’Europe. Mais, s’écrie-t-on, la prépondérance que les cabinets étrangers s’étaient habitués à voir exercer par la couronne, reçoit une atteinte par le triomphe de la majorité, où la gauche joue un si grand rôle, et par la venue d’un cabinet né à la suite du rejet de la dotation. Est-ce qu’on n’a pas vu récemment, sans crainte pour la solidité du trône de la Grande-Bretagne, sir Robert Peel et le duc de Wellington, c’est-à-dire ceux qui veulent le plus la monarchie en ce temps-ci, réduire la dotation proposée pour le prince Albert, et lui refuser la préséance sur les oncles de la reine, c’est-à-dire frapper la royauté et la rudoyer quand elle ne va pas à leur gré ? Est-ce que par hasard l’Europe en serait à une adoration chinoise de la monarchie au point de prendre l’alarme à l’aspect de quelques boules noires, quand elle a vu récemment encore le souverain qui a fait le plus de sacrifices à la nationalité et au bien-être de son peuple, le roi de Hollande, forcé par l’opinion d’opter entre la femme qu’il voulait honorer d’un choix public et le maintien des droits que lui donne la constitution actuelle du pays ? Non, l’Europe n’est pas si pointilleuse, et les cabinets ne sont pas aussi exigeans qu’on le pense, dans un temps où tous les pouvoirs, quelle que soit leur origine et leur nature, sont obligés de se contenter de peu. N’avons-nous pas vu d’ailleurs, en ce qui est de cet éternel thème du gouvernement personnel, que le ministère de Casimir Périer lui-même avait été une réaction contre la prétendue