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publique en faisant beaucoup de bruit des équipages qu’on mettait en mer et des mouvemens qu’on faisait dans les ateliers de Toulon. Quant à la flotte, on l’expédia sans pouvoir se dire ce qu’on voulait en faire ; son commandant partit sans emporter une seule instruction précise, et celles de l’amiral Roussin, notre ambassadeur à Constantinople, se bornaient, le croira-t-on ? à ceci : En cas d’intervention russe, demander au gouvernement turc la permission de faire entrer nos vaisseaux dans la mer de Marmara. — Dans les dépêches, rien de plus. On n’y mentionnait même pas le nom des Dardanelles ; il semblait qu’à ce mot l’Europe entière dût s’écrouler ! Quant aux explications que demandaient de temps en temps les envoyés des puissances sur les préparatifs qui se faisaient à Toulon, on leur répondait que la situation de Tanger et du Maroc exigeait des armemens, ou bien qu’il était nécessaire d’exercer et de promener nos équipages. Avec l’Angleterre, même indécision. Tantôt on avait foi en elle, et on parlait d’agir de concert ; d’autres fois, on prétendait jouer un rôle isolé, menacer tout le monde, se porter contre la Russie, contre l’Angleterre, mais sans vouloir rien en réalité, et les paroles étaient aussi rudes que la conduite était timide au milieu de ces démonstrations. Il résulta de ces incertitudes que la flotte anglaise se sépara de la nôtre, que la mésintelligence augmenta entre lord Ponsonby et notre ambassadeur, et que de Londres même, on en vint à demander des explications au sujet de deux articles hostiles à l’Angleterre, publiés par deux journaux de Paris, qu’on supposait en rapport avec le gouvernement. Ce fut alors que la Russie, toujours vigilante et attentive, adressa ses premières propositions à l’Angleterre, et accrédita M. de Brunow comme envoyé temporaire près du gouvernement anglais.

On sait ce que sont les Anglais. Vifs, entiers, hardis, rien ne les arrête, rien ne les étonne, quand il s’agit de leurs intérêts. Ils connaissent mal l’Europe et daignent à peine l’étudier, mais cette connaissance et cette étude leur seraient inutiles, car ils pratiquent, du fond de leur île, leur politique en propre, sans s’inquiéter de celle de leurs voisins. M. de Brunow leur montra le ministère français devenu tout à coup égyptien outré, et il les excita contre Méhémet-Ali, qui se prête autant qu’il le peut aux désirs des Anglais, qui ne leur refuse nullement la route qu’ils veulent établir par l’isthme de Suez, mais qui se trouve sur leur chemin, ce qui est un tort irrémissible aux yeux de l’Angleterre. Qu’advint-il de toutes ces récriminations faites avec mesure et habileté ? Peut-être moins qu’on ne pense. Quelques