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REVUE. — CHRONIQUE.

ait été conférée d’une manière ou d’une autre ? Ce sont là des questions secondaires sur lesquelles les opinions peuvent varier. Toujours est-il qu’aucun de ces pouvoirs n’a le droit de se regarder comme le représentant exclusif du pays, c’est-à-dire de l’intérêt général, car ils existent et agissent tous au même titre. Aussi l’appel au pays n’est-il pas une sorte de privilége accordé à la chambre des députés. Loin de là. Elle paraît, comme les autres pouvoirs, devant l’arbitre commun. Si le jugement du pays lui est favorable, on se confie, pour l’exécution, à la sagesse des autres pouvoirs et on passe outre. S’il lui est contraire, la chambre des députés peut être complètement renouvelée ; le pays peut ne vouloir confier l’accomplissement de sa pensée qu’à de nouveaux députés, libres de tous engagemens.

Il est donc plus que singulier d’entendre reprocher au cabinet du 1er mars et à ses amis leur langage politique. Ils parlent d’appel au pays et de gouvernement parlementaire ! Qu’est-ce à dire ? La chambre des pairs ne fait donc pas partie intégrante du parlement ? et la couronne n’est-elle pas aussi, dans sa qualité de puissance politique et législative, partie intégrante, capitale, essentielle du parlement ? Il n’est pas en Angleterre un enfant de dix ans qui l’ignore. Ceux qui reprocheraient au gouvernement ce langage tout constitutionnel révoqueraient en doute leur propre droit. Oui, nous vivons sous un gouvernement parlementaire, sous le gouvernement de la couronne et des chambres ; oui, nous vivons sous un gouvernement représentatif, la France étant représentée par la royauté et par les deux chambres. L’état ordinaire, régulier, c’est la pondération et l’harmonie de ces pouvoirs. Si un dissentiment profond s’élève, c’est précisément pour maintenir cette pondération des pouvoirs qu’on fait un appel au pays. Si tous les pouvoirs peuvent le provoquer, indirectement du moins, par leur résistance et leurs dissentimens, c’est essentiellement à la couronne, au moins passionné, au plus désintéressé des trois pouvoirs, qu’il appartient d’en proclamer la nécessité et l’opportunité.

Quand mettrons-nous fin à nos longues discussions de métaphysique politique, de scolastique constitutionnelle, pour nous vouer entièrement à la discussion des affaires, au gouvernement du pays ? Au lieu d’approfondir nos questions commerciales, maritimes, coloniales, au lieu de combler les lacunes de notre législation, d’étudier nos rapports internationaux, la situation de notre armée et de notre marine, nous aimons mieux discuter subtilement la question de savoir si notre gouvernement est parlementaire, représentatif ou constitutionnel, si le roi règne sans gouverner, ou s’il règne et gouverne en même temps. Et à cette occasion il faut entendre les hommes qui se disent monarchiques par excellence, rappeler, avec de profonds soupirs et un certain contentement d’eux-mêmes et de leur érudition politique, la comparaison fort ignoble qu’on attribue à Napoléon ; il faut entendre, de l’autre côté, les théoriciens libéraux affirmer, avec ce dédain qui n’admet pas même la possibilité d’une objection, que les ministres étant responsables et le roi ne l’étant pas, les ministres seuls doivent gouverner, que le roi doit nécessairement rester