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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

à un anneau quelconque de cette grande chaîne de l’histoire. Quelle fut, à les prendre dans leur ensemble, la direction principale et historique des générations qui arrivaient à la virilité en 89, et de celles qui y atteignaient vers 1803 ? Pour les unes, la politique, la liberté, la tribune ; pour les autres, l’administration ou la guerre. De sorte qu’on peut dire, en abrégeant, que les générations politiques et révolutionnaires de 89 eurent pour mot d’ordre le droit, et que les générations obéissantes et militaires de l’Empire eurent pour mot d’ordre le devoir. Or, nos générations, à nous, romanesques et poétiques, n’ont guère eu pour mot d’ordre que la fantaisie.

Mais que devinrent les éclaireurs avancés, les enfans perdus de nos générations encore lointaines, lorsque, s’ébattant aux dernières soirées du Directoire, essayant leur premier essor aux jeunes soleils du Consulat, et croyant déjà à la plénitude de leur printemps, ils furent pris par l’Empire, séparés par lui de leur avenir espéré, et enfermés de toutes parts un matin en un horizon de fer comme dans le cercle de Popilius ? Ce fut un vrai cri de rage[1].

Deux seuls grands esprits souvent cités résistèrent à cet Empire et lui firent tête, M. de Châteaubriand et Mme de Staël. Mais remarquez bien qu’ils étaient très au complet, et comme en armes, quand il survint. M. de Châteaubriand se faisait déjà homme en 89 ; dix ans d’exil, d’émigration et de solitude achevèrent de le tremper. Mme de Staël, de même, ne put être supprimée par l’Empire, auquel elle était antérieure de position prise et de renommée fondée. Nés dix ou quinze ans plus tard, et s’ils n’avaient eu que dix-sept ans en 1800, ces deux chefs de la pensée eussent-ils fait tête aussi fermement à l’assaut ? Du moins, on l’avouera, les difficultés pour eux eussent été tout autres.

Il faut en tenir compte au brillant, aimable et intermédiaire génie dont nous parlons. Charles-Emmanuel Nodier doit être né à Besançon le 29 avril 1780, si tant est qu’il s’en souvienne rigoureusement lui-même ; le contrariant Quérard le fait naître en 1783 seulement ; Weiss, son ami d’enfance, le suppose né en 1781. Ce point initial n’est donc pas encore parfaitement éclairci, et je le livre aux élucubrations des Mathanasius futurs. Son père, avocat distingué, avait été de l’Oratoire et avait professé la rhétorique à Lyon. Il fut le premier et longtemps l’unique maître de ce fils adoré, dont l’éducation ainsi resta

  1. On peut lire dans les Méditations du Cloître, qui font suite au Peintre de Saltzbourg, le paragraphe qui commence ainsi : « Voilà une génération tout entière, etc. »