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gouvernement pour contenir l’aristocratie, au lieu de lui prêter appui.

Il est douloureux de le dire, la seule chance qu’il y ait pour l’Irlande d’obtenir des réformes plus radicales, c’est l’avénement des tories. Tous les tories sans doute sont loin de ressembler à lord Lyndhurst ou à M. Bradshaw, et sir Robert Peel, premier ministre, voudrait aussi se montrer juste et bienveillant envers l’Irlande ; mais cela lui serait impossible, et voici pourquoi. Il n’y a point en Irlande de partis intermédiaires et d’opinions moyennes : d’une part, l’aristocratie protestante avec ses passions furieuses ; de l’autre, la démocratie catholique avec ses souvenirs et ses haines. Or, il faut inévitablement que le gouvernement s’appuie sur l’une ou sur l’autre. L’ardente inimitié de l’aristocratie protestante pour le ministère whig ne lui laissait pas le choix, et c’est au sein de la démocratie catholique qu’il a dû chercher son point d’appui. Sir Robert Peel ne serait pas plus libre, et la force des choses lui donnerait, le jour même de son avénement, la démocratie catholique pour ennemie, l’aristocratie protestante pour alliée. Alors cesserait l’espèce de trêve qui, depuis cinq ans, enchaîne les passions de l’Irlande, et fait taire ses souffrances. L’Irlande est aujourd’hui aussi misérable, plus misérable peut-être qu’il y a dix ans, et ses justes griefs sont loin d’avoir obtenu tous satisfaction ; mais le gouvernement est en guerre avec ses oppresseurs, et, tout étonnée d’avoir le gouvernement pour ami, elle supporte ses maux et modère ses ressentimens. Le jour où le pouvoir reviendrait à ses oppresseurs, la réaction serait terrible. On peut prévoir alors entre l’Angleterre et l’Irlande cette guerre sanglante que les tories les plus ardens appellent de tous leurs vœux, et qui remettra en présence les deux races et les deux religions. Ce que sera le résultat d’une telle guerre, personne ne le sait ; mais il est difficile de croire que l’aristocratie et l’église en sortent victorieuses.

Tout le monde comprend d’ailleurs ce qu’il y aurait d’effroyable dans cette dernière lutte, et il n’est pas en Irlande un bon citoyen qui voulût en hâter le moment. C’est pourquoi l’Irlande, sans attendre du cabinet whig la guérison de tous ses maux, soutient ce cabinet avec constance, et s’émeut chaque fois que sa chute paraît imminente.

Abandonnée à elle-même, il est pourtant douteux que l’Irlande, avec ses trois millions d’indigens, pût persister long-temps dans sa modération ; mais l’Irlande, depuis vingt ans, a pris l’habitude d’être agitée ou paisible selon qu’il plaît à l’homme extraordinaire qui règne sur elle par son génie. Cet homme, c’est O’Connell, le plus rare exemple