Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/410

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
406
REVUE DES DEUX MONDES.

Peu m’importe que la pensée
Qui s’égare en objets divers,
Dans une phrase cadencée,
Soumette sa marche pressée
Aux règles faciles des vers ;

Ou que la prose journalière,
Avec moins d’étude et d’apprêts,
L’enlace, vive et familière,
Comme les bras d’un jeune lierre
Un orme géant des forêts ;

Si la manière en est bannie
Et qu’un sens toujours de saison
S’y déploie avec harmonie,
Sans prêter les droits du génie
Aux débauches de la raison.

La parole est la voix de l’ame,
Elle vit par le sentiment ;
Elle est comme une pure flamme
Que la nuit du néant réclame[1]
Quand elle manque d’aliment.

Elle part prompte et fugitive,
Comme la flèche qui fend l’air,
Et son trait vif, rapide et clair,
Va frapper la foule attentive
D’un jour plus brillant que l’éclair.

Si quelque gêne l’emprisonne,
Défiez-vous de son lien.
Tout effort est contraire au bien,
Et la parole en vain foisonne,
Si tôt que le cœur ne dit rien.

Le simple, c’est le beau que j’aime,
Qui, sans frais, sans tours éclatans,
Fait le charme de tous les temps.
Je donnerais un long poème
Pour un cri du cœur que j’entends.
 

  1. Je n’aime pas cette nuit du néant qui réclame une flamme ; c’est la rime qui a donné cela.