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momentané de ses affections, de son amour-propre, et même de sa popularité.

On peut dire beaucoup de mal d’O’Connell, et quelquefois il y prête ; mais, tout balancé, sa destinée sera, dans l’histoire, une des plus singulières et des plus glorieuses qu’il y ait. On a vu de grands guerriers changer la face du monde, et de grands rois ou de grands ministres exercer sur les institutions et les mœurs d’un peuple une puissante influence ; ce qu’on n’a guère vu, c’est un homme qui, sans disposer de la puissance militaire ou civile, parvient, par la seule force de la raison et du talent, à affranchir pacifiquement son pays, et à dominer en quelque sorte le gouvernement de qui, peu de temps auparavant, son pays dépendait. Voilà ce qu’a fait O’Connell, et ce qu’il fait encore aujourd’hui. C’est lui qui a conquis l’émancipation, lui qui contient et modère l’Irlande en obtenant pour elle justice et bienveillance, lui qui maintient au pouvoir le cabinet whig à l’exclusion des tories. Et pour qu’il ne manque rien à cette haute situation, chaque année l’Irlande paie volontairement à O’Connell un tribut de 15 à 20,000 livres sterling, récompense bien légitime et bien acquise ; espèce de liste civile populaire qui honore à la fois ceux qui la donnent et celui qui la reçoit.

Que les injures dont chaque jour il est abreuvé ne découragent donc point l’illustre patriote qui soutient avec tant de persévérance et de courage une si bonne cause. En Angleterre, il a et doit avoir des ennemis acharnés ; mais hors de l’Angleterre il n’est pas une ame généreuse qui ne sympathise avec lui, pas un esprit élevé qui ne le comprenne et ne l’admire.

Je reviens au livre de M. de Beaumont, et je termine comme j’ai commencé. Le sujet de ce livre est un des plus intéressans qu’il y ait, et l’auteur s’est montré digne du sujet. Quant à l’étendue et à la variété des connaissances qu’un tel livre suppose, je laisse parler le Dublin Magazine, qui appartient au parti orangiste. « M. de Beaumont, dit à peu près textuellement ce Magazine, analyse et explique si bien les institutions de l’Angleterre et de l’Irlande, qu’il nous paraît impossible que cette partie de l’ouvrage soit composée par un étranger. Nous sommes donc convaincus qu’elle lui a été fournie toute faite par un radical de Dublin. » Un tel éloge de la part d’un adversaire vaut mieux que tous les miens.


P. Duvergier de Hauranne.