Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/450

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
446
REVUE DES DEUX MONDES.

décréta, comme mesure préliminaire, un apurement général des comptes. Cette opération donna le résultat suivant, consigné dans le Moniteur du 5 avril 1792 :

Rentes perpétuelles 
76,844,949 livres.
Rentes viagères 
102,255,192
179,100,141 livres.

Ce chiffre représentait particulièrement la dette de l’ancien régime. Celle de la révolution consistait en pensions accordées, comme indemnités, aux ecclésiastiques et aux victimes du nouvel ordre de choses. Ces pensions exigeaient le sacrifice annuel de 97,291,000 livres. Il n’y avait pas encore à s’inquiéter de cette autre dette, beaucoup plus lourde pourtant, qui avait pour titres les assignats, parce qu’on les croyait alors suffisamment garantis par les biens nationaux, qui leur servaient de gages.

L’irrégularité des opérations financières, sous l’ancien régime, avait tellement multiplié les titres, qu’il était devenu fort difficile de les reconnaître et de les classer. Le service des arrérages souffrait de cette confusion[1]. D’ailleurs plusieurs créances reposaient sur des institutions que les premiers souffles de l’orage avaient fait disparaître. Il y avait donc justice et convenance à simplifier le mécanisme du crédit public. Le 17 août 1793, le comité des finances proposa, par l’organe de Cambon, de reconnaître, par une seule et même formule, les droits divers des créanciers de l’état. « L’opération consiste, dit le rapporteur, à inscrire sur un grand livre, que nous appellerons Livre de la dette publique, toutes les espèces de créances de la nation. Chaque créancier sera porté suivant l’ordre alphabétique… Nous aurons sur ce livre le total de la dette nationale. Alors nous la consoliderons à raison de 5 pour 100. Cette mesure devait être accueillie moins encore comme une réforme excellente, que comme un trait de haute et vigoureuse politique. Les créanciers de l’ancienne monarchie allaient devenir ceux de la république ; on enchaînait de vive force au char de la révolution la classe timide et sournoise des rentiers. Malheureusement, le défi que la France avait à soutenir contre l’Europe coalisée absorbait jusqu’à ses moindres ressources. Le plus sacré de tous les engagemens était alors d’envoyer aux frontières du pain et de la poudre. Avant même que l’échange des vieux titres contre les certificats d’inscriptions fût effectué, le gouvernement avait avoué l’impuissance de faire honneur au dernier contrat.

La nécessité qui dicta la loi de l’an VI était si criante, qu’elle étouffa les reproches haineux et jusqu’aux gémissemens du besoin. La réduction des deux tiers de la dette fut résolue. On se piqua du moins de savoir-vivre, et, pour la première fois, ce vilain mot de banqueroute fut remplacé par celui de remboursement. Le titre XIV de la loi du 9 vendémiaire an VI, pouvant être con-

  1. Certaines rentes étaient, dit-on, attribuées à trente ou quarante payeurs, à qui il fallait s’adresser successivement. La recette des rentes était alors une industrie aussi lucrative que compliquée.