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SITUATION FINANCIÈRE DE LA FRANCE.

convertir ne pourrait être l’objet d’un doute en Angleterre, parce qu’il y est consacré par l’usage, et quelquefois même mentionné dans le contrat passé entre le gouvernement et les prêteurs. Mais on a rappelé chez nous que notre fonds 5 pour 100, devant son origine à une loi de spoliation, a été déclaré par compensation exempt de toute retenue présente ou future. On s’est prévalu de l’incertitude des termes employés dans les actes législatifs pour prétendre que le capital de la dette n’a pas été limité, et que le remboursement, en supposant qu’il fût admissible, devrait être effectué, non pas au pair, mais au cours de la Bourse. Nous avouons en toute conscience que ces prétentions nous semblent peu fondées. La loi de l’an VI ne serait applicable à la rigueur qu’aux victimes de la réduction des deux tiers et non pas aux prêteurs qui plus tard ont su tirer de leurs fonds des profits usuraires. Le droit de se racheter d’une servitude est inscrit dans la loi naturelle, et il n’est pas au pouvoir d’une assemblée délibérante de l’aliéner à perpétuité. Quant aux conditions du rachat, elles ont été suffisamment indiquées par la consolidation des anciennes créances calculées par Cambon sur le pied du denier vingt, et par le titre de cinq pour cent donné aux fonds créés postérieurement. Admettre le rachat au-dessus du pair, ce serait irriter follement la cupidité du créancier et rendre toute liquidation impossible.

Reconnaissons donc que la réduction des dettes publiques est pour les tuteurs de notre pays un droit en même temps qu’un devoir. Le moyen de libération qu’on voudrait consacrer est-il le plus sûr, le plus équitable ? les bénéfices qu’il promet rachètent-ils les embarras, les dangers qu’il fait craindre ? C’est là qu’est pour nous toute la question.

Déjà les merveilles signalées par les promoteurs de la mesure se sont évanouies au grand jour de la discussion. La conversion, disait-on il y a deux ans, doit améliorer la condition ordinaire du crédit public, abaisser le loyer de l’argent, déverser des capitaux dans la circulation, raviver l’agriculture et l’industrie. On a peine à concevoir que ces phrases de prospectus aient été produites sérieusement et qu’elles aient pu agir un instant sur l’opinion.

Est-ce donc qu’il suffit d’abaisser le taux nominal des fonds publics pour trouver réellement des secours à bas prix ? En ces sortes d’affaires, les termes du contrat sont une entrave pour l’état qui est en péril, mais jamais pour le capitaliste qui tient le salut public enfermé dans son coffre-fort. De 1793 à 1819, l’Angleterre a contracté plus de soixante emprunts à des taux ordinairement fort bas, et cependant elle a toujours payé plus de 5 pour 100, soit qu’elle attribuât un intérêt de 3 pour 100 à une somme double de celle qui lui était versée effectivement, soit qu’elle ajoutât au coupon de rentes perpétuelles une longue série d’annuités détachées. On ne saurait trop le répéter, l’abaissement du taux nominal de la dette n’a pas été le fait des hommes d’état de la Grande-Bretagne. Ce fut au contraire une condition commandée par les agioteurs pour se mettre à l’abri des conversions en stipulant un intérêt nominalement si faible qu’il devint en quelque sorte, irréductible, et aussi pour profiter de la surcharge des titres en cas de rachat ou d’amortissement. Presque