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anciennes rentes, a vulgarisé l’opinion contraire, et aux yeux de la foule ignorante, les plus louables tentatives pour alléger la dette publique ne seront jamais qu’un abus de pouvoir. Sans trop sacrifier à ce préjugé, il serait impolitique de le mépriser. L’état ne saurait prendre trop de ménagemens quand il entrera pour la première fois dans l’exercice de son droit. Aux systèmes rigoureux et tranchans qu’on a produits jusqu’à ce jour, ne pourrait-on substituer quelque combinaison bienveillante qui facilitât la réforme en corrigeant ses rigueurs ? Nous citerons un exemple, non pas avec la prétention de tracer la seule route à suivre, mais seulement pour exposer pleinement notre pensée.

Un amendement développé à la tribune par M. de Bérigny avait pour but d’appliquer la dotation de l’amortissement à un remboursement par séries appelées successivement et selon les ressources disponibles. En étudiant cette proposition, nous avons trouvé que 55 millions employés annuellement en rachats au pair, et accrus par la progression des arrérages amortis, saisiraient en vingt-deux ans les 110,000,000 de rentes sur lesquelles on doit opérer, et rendraient effectivement à la circulation un capital de 2,200,000,000 francs. Cet amendement se présentait avec un caractère inflexible qui l’a fait rejeter. La chambre aurait cru infliger un supplice aux rentiers en les condamnant à subir le remboursement et à chercher un nouvel emploi de leurs fonds ; mais il nous semble qu’une administration habile en même temps que bienveillante pourrait ménager à ceux qui seraient exclus de la rente un placement sans dangers. Aujourd’hui la réserve de l’amortissement est appliquée aux travaux publics. Pourquoi ne combinerait-on pas, à l’aide de cet amortissement, un système de liquidation qui favorisât l’avancement des entreprises d’utilité nationale ? Si, par exemple, l’état consentait à garantir un minimum d’intérêt aux actionnaires des grandes lignes de chemins de fer, le remboursement de la rente, au lieu d’être une mesure acerbe, ne serait plus qu’une substitution également profitable aux rentiers, au trésor public et à l’industrie particulière.

Nous ne nous faisons pas illusion. Les combinaisons de cette nature n’ont pas aujourd’hui la moindre chance d’être adoptées. Elles ont un tort impardonnable : celui de couper court aux manœuvres de Bourse. En matière de finances, les préjugés sont plus nombreux peut-être qu’en toute autre, par la raison que les seules personnes capables de dévoiler les abus sont ordinairement celles qui en profitent. On déclare l’agiotage un mal nécessaire ; on paraît croire qu’en le contrariant, l’état endommagerait son propre crédit et s’exposerait à ne plus pouvoir emprunter. Autant vaudrait dire que le marchand de drap ou de sucre refusera de vendre, si la loi ne lui accorde pas un privilége. L’argent n’est qu’une marchandise dans les mains de ceux qui en trafiquent. Le capitaliste, quand ses coffres sont pleins, éprouve un besoin aussi vif de prêter que la partie adverse d’emprunter, et il n’y a pas à craindre qu’il boude contre ses intérêts. Le taux des emprunts n’a jamais d’autres règles que la quotité du capital disponible et la solidité de l’emprunteur. La France a eu beau parodier depuis vingt-cinq ans toutes les belles conceptions du génie anglais, elle n’en a pas moins payé en moyenne 8 pour 100 d’intérêts. Au contraire, un