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lieu d’argent, leur crédit, qui, sur la place, avait la puissance de l’argent, et elles escomptèrent les effets à terme avec du papier réalisable en espèces à la première réquisition du porteur. L’expérience démontra qu’on pouvait sans inconvénient émettre ainsi une somme de billets supérieure à celle du numéraire métallique réservé en caisse, et dès-lors la principale spéculation des banques reposa sur les phénomènes de la circulation et sur les propriétés du crédit. Les institutions privilégiées de la France et de la Grande-Bretagne sont classées comme caisses de dépôt, d’escompte et de circulation. Beaucoup d’autres établissemens publics ou privés ont élargi ou modifié ces bases essentielles. Quoi qu’il en soit, toute la tactique de la banque revient à l’opération suivante : une mise de fonds d’un million, étant portée à 3 ou 4 millions par les dépôts en comptes courans, autorise une émission de 10 à 12 millions en billets, de sorte qu’en faisant l’escompte avec ces billets, au taux minime de 3 ou 4 pour 100, le million primitif pourrait rapporter effectivement plus de 40 p. 100. Mais, pour obtenir de pareils bénéfices, il faudrait entretenir sans cesse tout le capital en mouvement et gaspiller le crédit au risque de jeter le trouble dans les affaires. Les comptoirs privilégiés agissent au contraire avec une circonspection parfois exagérée ; aussi demeurent-ils toujours dans la mesure des bénéfices honnêtes. Le maximum des dividendes donnés par la banque d’Angleterre a été de 10 pour 100 en 1807 ; depuis plusieurs années, ils se sont maintenus à 8 pour 100, et ont même fléchi jusqu’à 7 l’année dernière ; le nombre des parties prenantes dépasse 189,000. La Banque de France qui sollicite, comme on sait, le renouvellement de son privilége, a voulu se concilier le commerce parisien en multipliant les escomptes. Cette conduite a élevé les dividendes de 1839 à un chiffre que le gouverneur a déclaré exceptionnel. La part attribuée à chaque action est de 144 fr. ou 14 fr. 40 cent. pour 100, ce qui a porté le prix vénal de chaque action à plus de 3,300 fr. Les actions, au nombre de 67,900, sont aujourd’hui la propriété de 4,254 actionnaires.

À n’en juger que par les apparences, les banques seraient plus utiles encore aux localités où elles fonctionnent qu’aux compagnies qui les dirigent. Autour d’une caisse d’escomptes, répandant avec quelque libéralité l’arme des conquêtes industrielles, le crédit, il n’y a plus de spéculations impossibles, plus de terrains ingrats. Les travailleurs sont appelés de toutes parts, et leur influence détermine un surcroît de consommation qui exalte les petits revendeurs. Chacun étend son commerce pour multiplier ses profits ; chacun escompte en jouissances les profits qu’il se promet, et bientôt un reflet de prospérité illumine toute la sphère où ce mouvement s’exerce. Ces phénomènes, qui frappent à première vue, ont gagné la majorité des publicistes à la cause des banques libres. Mais écoutez d’autres observateurs moins accessibles à l’enthousiasme, et ils vous diront que cette surexcitation dont la foule s’émerveille n’est qu’un accès de fièvre, symptôme précurseur d’une atonie mortelle. Ils vous diront que le crédit, pour n’être pas funeste, doit être distribué avec une excessive réserve ; que la rivalité des banques tend à le développer d’une façon artificielle et quelquefois frauduleuse, qu’après un malaise plus ou moins long-