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TIRSO DE MOLINA.

tremble ! Qu’est-ce donc que j’éprouve ?… Du courage !… Est-ce qu’elle ne dormirait pas en effet ? Elle dort certainement, je vais m’approcher d’elle… Mais si elle se réveillait ! Je frémis à cette pensée ; je mourrais certainement, si elle me surprenait de la sorte. Pour ne pas tout perdre, je dois me résigner à perdre l’occasion qui s’offre à moi ; la crainte l’emporte sur l’amour ; je vais, hors de cette chambre, attendre son réveil.

Madelaine, à part. — Il n’a pas même osé s’approcher de moi. Quel excès de timidité !

Don Dionis. — Non… je ne puis rester ici, puisqu’elle dort… Il faut que je m’éloigne.

Madelaine, à part. — Il s’en va, en effet. (Haut.) Don Dionis !

Don Dionis. — Elle m’a appelé ! je ne me trompe pas… Qu’elle s’est promptement réveillée… Si j’avais cédé à mon premier mouvement, dans quelle situation je me trouverais !… Mais est-elle éveillée ?… Non… je crois qu’un songe vient encourager mes espérances comme pour me donner à penser que celle qui m’appelle dans son sommeil ne me hait pas lorsqu’elle veille. Si, en effet, elle rêvait de moi ! si je pouvais savoir ce qui se passe dans son esprit !

Madelaine, feignant de rêver. — Ne sortez pas, don Dionis, approchez vous.

Don Dionis. — Son rêve m’ordonne de m’approcher ; quelle heureuse occasion ! il faut lui obéir ; même en dormant, elle est ma maîtresse. Amour, parlez enfin, triomphez de votre timidité.

Madelaine. — Don Dionis, puisque vous venez m’enseigner tout à la fois à écrire et à aimer… le comte de Vasconcelos…

Don Dionis. — Qu’entends-je ! oh ! jalousie…

Madelaine. — Dites-moi si vous savez ce que c’est que l’amour, ce que c’est que la jalousie. Il serait fâcheux que, par votre faute, je restasse dans mon ignorance, car nul ne peut enseigner ce qu’il ne sait pas. Dites-moi, êtes-vous amoureux ? ne l’avez-vous jamais été ? Pourquoi rougissez-vous ? Répondez, répondez sans crainte. L’amour est un tribut que tout être vivant doit à la nature, depuis l’ange jusqu’à la brute. Pourquoi donc en rougir ? Aimez-vous ? — Oui, madame. — Grace au ciel, j’ai pu enfin tirer de vous une parole.

Don Dionis. — Y eut-il jamais songe plus charmant ! quel bonheur de l’entendre et d’en être témoin ! mais n’est-ce pas moi qui rêve, et ma félicité n’est-elle pas elle-même un songe ?

Madelaine. — Et avez-vous dit votre amour à votre dame ? — Je n’ai pas osé. — Elle ne le connaît donc pas ? — Comme l’amour est tout flamme, elle l’aura lu sans doute dans mes yeux. — C’est à la langue à donner de telles explications, cet autre langage ne s’entend pas assez distinctement. Ne vous a-t-elle fourni aucune occasion de vous déclarer ? — Elle m’en a tant donné, que je suis confus de ma timidité. — Parlez donc, tant de retards font tort à votre amour. — Je crains de perdre, en parlant, le bonheur que m’assure mon silence. — C’est une folie. Un homme d’esprit a comparé celui qui aime et qui se tait à une belle tapisserie qu’on ne déroulerait pas. Le peintre qui, désirant vendre ses