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TIRSO DE MOLINA.

est un modèle de complication et de vivacité. Les incidens s’y croisent et s’y multiplient à un tel point, que l’esprit éprouverait à les suivre une véritable fatigue, s’il n’y trouvait aussi un très grand amusement. Rarement, d’ailleurs, Tirso a donné à ses héroïnes autant d’audace, de pétulance, de dévergondage, nous dirions d’impudence, si, à force de grâce et de malice, il ne désarmait le sentiment qui dicterait une qualification aussi sévère. Il s’agit, suivant l’usage à peu près invariable de l’auteur, d’une amante abandonnée qui poursuit son amant infidèle, et qui, après avoir fait échouer, au moyen de mille artifices, ses projets de mariage, l’amène enfin à réparer ses torts. Par une autre combinaison non moins familière à Tirso, c’est sous un déguisement d’homme que dona Juana accomplit son entreprise, et, ainsi déguisée, elle parvient à inspirer à sa rivale une violente passion. La prédilection de Tirso pour un ressort aussi singulier, la complaisance un peu monotone avec laquelle il ne cesse d’y revenir, les plaisanteries plus que libres dont cette idée bizarre lui fournit l’inépuisable texte, décèlent bien l’imagination corrompue et blasée du moine licencieux.

Une autre de ses comédies, Marthe la pieuse ou la Dévote amoureuse, est empreinte à un plus haut degré encore du même caractère. C’est peut-être le plus original de ses ouvrages. Une jeune fille, que son père veut forcer à épouser un riche vieillard, a recouru, pour se conserver à l’homme qu’elle aime secrètement, au plus étrange des stratagèmes. Elle feint de se sentir tout à coup saisie d’une ardeur de dévotion qui ne lui permet pas de penser au mariage. Son père, après avoir vainement essayé de lutter contre sa résistance, se voit contraint d’y céder et de lui laisser suivre un genre de vie conforme à ses nouvelles inclinations. Sous prétexte de fréquenter les églises, de visiter les hôpitaux, de porter aux malades des secours et des consolations, Marthe obtient une liberté qu’elle n’avait jamais eue jusqu’alors. Maîtresse absolue de ses démarches qui n’excitent plus aucun soupçon, elle profite dans l’intérêt de son amour des facilités qu’elle s’est ainsi ménagées. L’amant préféré par elle, don Philippe, se présente sous le costume d’un pauvre étudiant malade qui demande l’aumône de porte en porte. Le père de Marthe veut le congédier après lui avoir donné quelques secours ; mais, comme entraînée par l’impulsion d’une ardente charité, elle s’approche du pauvre étudiant, elle l’embrasse comme si elle voulait soutenir sa faiblesse ; elle insiste pour le retenir, pour le soigner, pour ne le laisser partir que lorsqu’il sera complètement guéri. Le vieillard se montre d’abord aussi surpris que mécontent de ce qui lui paraît un caprice fort étrange, il exige le départ du prétendu malade. Néanmoins les larmes de sa fille, ses gémissemens, ses supplications finissent par le désarmer. Fatigué plutôt que convaincu, il consent à ce que l’étudiant reste dans sa maison, où il promet de donner à Marthe des leçons de grammaire et de latin, pour qu’elle puisse, dit-elle, comprendre ses prières.

Ici commence une suite de scènes tellement bizarres, qu’il est difficile d’en donner une idée. Tirso nous montre les deux amans se prodiguant les caresses les plus intimes et mêlant aux vives expressions de la passion ou plutôt de