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REVUE DES DEUX MONDES.

Don Philippe. — Je ne vous pardonnerai qu’à condition que vous me baiserez la main à genoux.

Marthe, s’agenouillant. — Je subirai cette mortification.

Le capitaine. — Quelle humilité inouie !

Marthe, à part. — Ah ! ce baiser a la saveur du miel.


Nous disions tout à l’heure que don Philippe avait de puissans motifs pour craindre d’être reconnu. En effet, Tirso, qui semble, dans cette comédie, avoir voulu se jouer de toutes les convenances et braver tous les sentimens honnêtes, Tirso suppose que don Philippe a récemment donné la mort au frère de Marthe et de Lucie, au fils de Don Gomez. Et remarquez que les deux jeunes personnes, au moment où elles se livrent à lui, le savent parfaitement. Don Gomez en est également informé, et il dirige un procès criminel contre ce même homme qu’il loge à son insu dans sa maison. Les choses n’en restent pas là. Marthe et son amant trouvent, dans le fait même qui semblerait élever entre eux une insurmontable barrière, un moyen de faciliter leur union. Un messager aposté par eux vient annoncer à don Gomez que don Philippe a été arrêté à Séville, que le procès se poursuit avec rapidité, et que, s’il désire se donner la satisfaction d’assister au supplice du meurtrier de son fils, il n’a pas un moment à perdre. Le crédule don Gomez, saisi de la joie la plus vive, part sur-le-champ pour l’Andalousie ; mais à peine a-t-il quitté Madrid, qu’il apprend la déception dont il vient d’être l’objet. Il s’empresse de revenir sur ses pas. Il n’est déjà plus temps. Marthe a mis son absence à profit pour épouser le prétendu licencié, et il ne lui reste plus d’autre parti à prendre que de pardonner, ce qu’il fait d’assez bonne grace.

Le Tour et le Souterrain est encore un des chefs-d’œuvre de Tirso. Cette comédie sort un peu du cercle habituel des déguisemens et des intrigues plus qu’invraisemblables sur lesquels sont fondés presque tous les drames de ce poète. Avec plus de vérité, de naturel et de décence, elle n’a ni moins de grace ni moins de piquant que les meilleures de celles dont nous avons déjà parlé, et il n’en est peut-être pas où l’on trouve plus de ces observations fines, de ces traits vraiment comiques, de ces expressions pittoresques et originales, créées avec tant de bonheur et si parfaitement appropriées au sujet, qu’on n’est pas d’abord frappé de leur nouveauté hardie.

Une veuve encore jeune et jolie, mais pauvre, a sous sa dépendance une sœur à peine sortie de l’enfance. Elle veut la marier à un riche vieillard qui doit les doter l’une et l’autre. Le futur époux est attendu à Madrid, et déjà les deux sœurs sont établies dans la maison conjugale, que sa jalouse prévoyance a fait en quelque sorte disposer comme un couvent. L’entrée doit en être absolument interdite à tout étranger, et c’est seulement par un tour qu’auront lieu les communications nécessaires avec le dehors. À l’aspect de ces préparatifs, la jeune fille, qui s’était représenté le mariage comme un état de liberté, recule d’effroi ; la terreur qu’elle éprouve, surmontant sa timidité enfantine, la porte à écouter les vœux d’un amant en qui elle voit un libérateur. En