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AVENIR DE NOTRE MARINE.

dans nos familles comme un glorieux héritage. C’est là l’honneur du pays, ce sera son titre dans les siècles ; les autres expressions de sa force pâliront nécessairement devant celle-là. Faut-il maintenant imprimer à cette tendance un caractère exclusif et, se concentrant dans une prépondérance continentale, déserter toute prétention à un établissement maritime ? Personne n’oserait sérieusement donner ce conseil. Un peuple ne peut pas diviser son action, scinder son influence, enchaîner systématiquement les modes de manifestation de ses facultés. Tout empire ne vit que par un commerce étendu, et tout commerce, pour devenir florissant, pour échapper au bon plaisir du voisin, nécessite une imposante protection armée. De là une marine militaire, et aussi le désir de l’élever au niveau des autres marines. Convient-il alors de céder à ce sentiment et d’aspirer à la fois au sceptre de la terre et des mers ? On rencontre à cela d’autres obstacles. D’abord il est impossible que l’un des rôles ne nuise pas à l’autre et que d’énormes sacrifices d’argent ne soient pas la conséquence de tous les deux ; ensuite il faut éviter par-dessus tout d’épuiser la sève d’un pays dans les soins de sa défense, et de tendre ses ressorts les plus énergiques vers un but stérile de supériorité militaire. Ainsi la France roulerait dans ce dilemme impérieux de ne pouvoir se passer d’une marine considérable et de ne pouvoir la maintenir sans douleur ; elle serait condamnée peut-être au rôle de dupe qu’elle a joué de 1790 à 1815, et qui se réduit à ceci : construire des vaisseaux pour que l’Angleterre les confisque, supporter les charges d’un armement qui doit, à un moment donné et après une résistance glorieuse, tomber entre les mains de l’ennemi. Comment échapper à cette douloureuse alternative ? comment éloigner le retour de ce qui s’est vu sous l’empire, le contraste d’une gloire exorbitante sur terre et d’une impuissance radicale sur les mers ? Est-il quelque remède à cela ? Nous ne savons ; mais, s’il en existe un, il est dans le cœur même des choses. Le théâtre des guerres maritimes ne nous est pas favorable : que ne le déplace-t-on ? La séparation de nos forces de terre et de mer nous est funeste : que n’essaie-t-on de les identifier ?

On ne se préoccupe pas assez, en France, des modifications profondes que la vapeur est destinée à imprimer à toutes les relations humaines. Elle a déjà bouleversé la constitution de l’industrie ; avant qu’il soit peu, elle aura transformé les combinaisons de l’art de la guerre. L’une de ses premières victimes sera nécessairement la voile, cet agent imparfait et capricieux de la navigation actuelle. La révolution est flagrante, inévitable. La voile se sent vaincue ; elle oppose