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AVENIR DE NOTRE MARINE.

n’a rien à nous offrir de pareil : en dehors des bateaux de rivières, c’est à peine s’il entretient trente paquebots de moyenne dimension[1]. Cependant la vapeur, employée comme transport, exige un grand matériel qui peut et doit être fourni surtout par les armateurs nationaux. La guerre utiliserait ainsi ce que, sous tout autre régime, elle eût condamné à l’inaction, et l’état s’épargnerait l’entretien de deux cents bâtimens de convoi empruntés à ses ports de commerce. Quelques vaisseaux, quelques frégates à vapeur seraient l’ame de ces flottes, leurs guides, leur escorte, ils opéreraient des diversions puissantes afin de masquer les opérations et de favoriser les mouvemens des transports. Peu nombreuse, mais compacte, cette marine agirait simultanément et toujours dans un but de descente. Il nous semble que c’est là un système qui déconcerterait bien des résistances. Malheureusement, il implique la nécessité de grandes existences en bâtimens à vapeur de commerce, et c’est précisément ce qui nous manque aujourd’hui. Ajoutons qu’on n’a rien su faire pour exciter dans ce sens la spéculation particulière, et qu’on a tout fait au contraire pour la décourager. Depuis dix-huit mois, les Anglais sillonnent l’Atlantique avec leurs moteurs à feu, et nous en sommes encore à nous demander si la France les y suivra. Un seul port de mer, Marseille, avait offert d’entrer hardiment dans cette voie en mettant six millions pour enjeu, et, au lieu de s’associer à cet élan, le gouvernement hésite encore, moins préoccupé de nos grands intérêts maritimes, que de petites querelles de rivalité topographique[2]. On ne sait rien trancher, rien finir dans notre pays. Les affaires ont besoin surtout de décisions promptes. La vigueur, la célérité d’action des pouvoirs publics n’ont pas été les moins énergiques mobiles de la fortune de l’Angleterre.

Souvent aussi l’intérêt fiscal vient se mettre à la traverse de l’in-

  1. Le nombre total de nos bateaux à vapeur, destinés tant à un parcours fluvial qu’aux services du littoral, est de 165, représentant une force de 16,000 chevaux. Le total de l’Angleterre dans les mêmes catégories est de 531, représentant 68,000 chevaux.
  2. Cet obstacle n’est pas le seul. M. le président du conseil est retenu en outre par le désir de s’assurer si on ne pourrait pas faire des paquebots transatlantiques une véritable escadre à vapeur, assez forte d’échantillon pour prêter le flanc à des frégates ou à des vaisseaux de ligne. Nous craignons que ce ne soit là trop poursuivre, trop embrasser à la fois. L’essentiel pour la France est de demander d’abord à la vapeur une escadre de transport. Le reste est une idée grande et belle, mais elle appartient à l’avenir, aux futurs contingens. Les moyens de réalisation manquent ; on ne sait comment on pourra concilier les conditions de force et de vitesse.