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AVENIR DE NOTRE MARINE.

mouvement commercial et maritime, est encore à faire. Le sentiment des grands intérêts de la France n’a pas pénétré dans tous les esprits. Les intérêts les plus voisins sont les seuls qui touchent vivement ; on n’a pas la conscience complète des autres, on se défie de l’inconnu, on ne veut rien livrer au hasard. Dans de certaines limites, c’est là une réserve louable ; mais systématiquement exercée, elle exposerait le pays à une déchéance. Ce serait, par exemple, une grave imprévoyance que de dire : La France est essentiellement agricole, on peut sans danger négliger le soin de son commerce ; la France est surtout continentale, on peut placer en seconde ligne les destinées de sa marine. Le résultat d’un calcul pareil serait l’anéantissement de l’un de nos modes d’influence et l’énervement de l’autre. Tout se tient dans la fortune des états. L’agriculture, qui s’est habituée à voir dans le commerce un ennemi, ne pourrait vivre sans lui ; le commerce à son tour a besoin, pour prospérer, d’une grande et lointaine irradiation, et la marine militaire ne pourrait tenir son rang, si la marine marchande ne lui ménageait pas de précieuses réserves de matelots. Commerce, état naval, colonies, voilà des intérêts qui ne peuvent se diviser, et qu’il ne faut pas frapper en aveugles, car ce serait un sacrifice sans compensation.

Depuis quelques années, il circule en France des préventions sourdes, mais actives contre toute colonisation lointaine et contre la marine, que l’on accuse de complicité dans les tendances coloniales. On semble croire que notre nationalité peut, sur tous les points, se suffire à elle-même, et qu’elle n’a pas besoin d’aller chercher au dehors les ressources qu’elle trouve dans son rayon continental. Qu’est-ce à dire ? La nature aurait donc donné en pure perte quatre cents lieues de côtes à notre territoire, et un magnifique littoral sur deux mers : sur l’Océan, l’espace sinueux qui se prolonge de Dunkerque à Bayonne ; sur la Méditerranée, celui qui se développe entre Antibes et Port Vendres ; elle lui aurait donné inutilement des havres, des rades bien abritées, des rivières praticables pour les plus grands vaisseaux, et une race de marins qui rivalise avec les plus fortes et les plus braves que l’on connaisse. Tous ces avantages qui sont sous notre main, à notre portée, nous y renoncerions gratuitement, systématiquement. Des deux ascendans, l’un continental, l’autre maritime, nous déserterions le plus fécond, le seul qui, dans l’ère tranquille que traverse l’Europe, puisse tenir en haleine l’activité nationale, éprouver les courages, agrandir les idées ; celui qui embrasse et résume tous les intérêts pacifiques sans exclure un seul de nos grands intérêts guerriers,