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LES SCIENCES EN FRANCE.

lever de vives réclamations, je me crois obligé de l’exposer avec les développemens nécessaires.

Je ne retracerai pas pour cela, monsieur, l’état de l’instruction primaire dans la plupart de nos départemens, et je ne rappellerai pas ces infortunés instituteurs auxquels les conseils communaux accordent à peine deux cents francs par an, et que par des vexations de toute nature ils forcent à abandonner l’enseignement. Je prendrai au contraire la science à son sommet : je la prendrai à Paris, et j’espère vous prouver que, si l’on continue ainsi, l’état de savant deviendra le moins lucratif de tous, et que, sauf les vocations particulières, il n’y aura bientôt plus guère de familles en France où l’on ne cherche à détourner les jeunes gens d’une carrière si pénible, si laborieuse, et dans laquelle les efforts que l’on fait pour acquérir un savoir solide, les sacrifices des parens qui veulent donner une éducation scientifique à leurs enfans, n’aboutissent souvent qu’à une position secondaire, à une vie remplie de privations.

On chercherait vainement à le nier ; nous vivons dans un temps où les intérêts matériels jouent un rôle immense, et où l’on veut avant tout arriver aux honneurs et à la fortune. Si pour soi on sait se passer d’argent, on en a besoin pour sa famille, pour ses enfans. Il faut ajouter que jamais peut-être, dans aucun temps, les hommes distingués n’ont eu autant de chances qu’à présent de s’enrichir promptement par le libre exercice de leur talent. C’est un spectacle séduisant et auquel peu d’imaginations savent résister que celui qu’offre chez nous la rapide fortune des hommes supérieurs. De quelque côté que l’on tourne les yeux, on ne voit qu’opulence et richesses. Ici ce sont des médecins ou des chirurgiens qui gagnent cinquante, soixante, cent mille livres par an, et qui laisseront comme Portal et Dupuytren, plusieurs millions à leurs enfans. Là vous voyez des artistes, des peintres, des graveurs, auxquels les suffrages du public font un sort presque aussi brillant. Un auteur dramatique, s’il a du talent, retirera de la représentation de ses pièces un revenu tout aussi considérable, et, soit comme professeur, soit comme compositeur, un musicien à la mode n’aura rien à envier aux autres artistes. Quant aux acteurs, aux chanteurs, aux danseurs, on ne sait plus où s’arrêtera leur fortune. On connaît à Paris des avocats qui sont devenus présidens de la chambre des députés avec dix mille francs de traitement par mois, d’autres qui ont été ministres, et qui, en quittant leur étude, ont vu diminuer leur revenu. Le journaliste, vif, spirituel, plein de verve, peut aussi devenir ministre, si toutefois il n’aime mieux