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car, ne recevant de l’état qu’un modique traitement, inférieur à celui qu’ils recevraient s’ils s’adonnaient à l’industrie ou aux manufactures, ils cherchent à améliorer leur sort en s’adressant au public, et emploient à donner des répétitions et des leçons particulières un temps qu’ils devraient pouvoir consacrer à des recherches originales. Ces répétitions sont le tombeau du talent ; mais comment faire ? Même à Paris il serait facile de citer des hommes d’un grand mérite qui auraient pu contribuer aux progrès des mathématiques, et qui, entraînés par l’appât de l’argent, ont tout quitté pour se consacrer exclusivement aux leçons particulières. On prétend que de cette manière ils peuvent gagner jusqu’à vingt-cinq mille francs par an. C’est environ cinq fois le traitement que reçoit M. Poisson[1] comme professeur à la Faculté des Sciences de Paris, ou M. Arago comme un des secrétaires perpétuels de l’Institut de France.

Ces remarques pourraient s’appliquer à l’érudition comme aux sciences, et là aussi on verrait l’archéologie, la philologie, les langues orientales, cultivées par un petit nombre de savans, pour lesquels le gouvernement est loin de faire ce que fait le public pour un bon maître d’anglais. Mais, pour ne pas trop agrandir mon cadre, je me bornerai à vous faire remarquer que l’on se tromperait fort si l’on croyait que l’état accordât en considération ce qu’il ne donne pas en argent. Deux faits seuls que je choisirai entre mille prouveront jusqu’à l’évidence la vérité de cette assertion.

Vous savez ce qui a été fait dans la loi électorale. On a cru que les membres de l’Institut, à raison de leur capacité (c’est le mot technique), méritaient une faveur toute spéciale, et l’on a diminué de cent francs en leur faveur le cens exigible pour être électeur ! Y a-t-il rien de plus singulier, de plus bizarre, que de taxer ainsi l’esprit d’un Champollion et d’un Dupuytren ? Mieux aurait valu cent fois laisser les académiciens dans le droit commun que de les évaluer à ce taux humiliant, et cependant il est reconnu que l’Institut est le premier corps savant de la France. La Faculté des Sciences de Paris, qui est placée à la tête de l’enseignement universitaire, n’obtient guère plus d’égards. Vous ne croirez pas, monsieur, qu’il a été impossible à cette Faculté d’obtenir qu’on modifiât légèrement l’itinéraire d’une ligne d’omnibus établie depuis peu d’années, et dont les chevaux,

  1. Lorsque j’écrivais ces lignes, on pouvait encore conserver l’espoir de prolonger les jours de cet illustre géomètre, qui est mort depuis, laissant des regrets éternels dans le cœur de ses amis, et dans la science un vide qui ne sera pas rempli.