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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

tique drame de Chatterton l’a bien senti, car il a placé auprès du martyr de l’ambition littéraire un quaker rigide dans ses mœurs et tendre dans ses sentimens, qui s’efforce de relever tantôt par la sagesse, tantôt par l’amour, ce cœur amer et brisé. Mais en face d’une douleur muette, comprimée, sans orgueil et sans fiel, au spectacle d’une vie qui se consume faute d’alimens nobles et qui s’éteint sans lâche blasphème, il y a des enseignemens profonds que chacun de nous peut appliquer à soi-même dans l’état social où nous vivons aujourd’hui. Le simple bon sens humain peut alors remonter aux causes et prononcer entre le poète qui s’en va et la société qui demeure, lequel fut ingrat, oublieux, insensible.

George Guérin ne fut ni ambitieux, ni cupide, ni vain. Ses lettres confidentielles, intimes et sublimes révélations à son ami le plus cher, montrent une résignation portée jusqu’à l’indifférence, en tout ce qui touche à la gloire éphémère des lettres. « Il portait dans le monde (c’est ce même ami qui parle) une élégance parfaite, des manières pleines de noblesse et un langage exquis, ne jetait pas d’éclat, n’avait pas de trait, mais quelque chose de doux, de fin et de charmant que je n’ai vu qu’à lui, et dont l’effet était irrésistible. Il aimait extrêmement la conversation, et quand il rencontrait par hasard des gens qui savaient causer, il s’animait et jouissait de ce qu’ils disaient comme il jouissait de la musique, des parfums et de la lumière. » Il était malade, et sa paresse à produire, sa paresse à vivre, s’il est permis de dire ainsi, sans hâter sa mort, empêchèrent peut-être l’effort intérieur qui pouvait en conjurer l’arrêt. Ce n’est donc pas directement à la société qu’on peut imputer cette fin prématurée, mais c’est bien à elle qu’on doit reprocher hautement et fortement cette langueur profonde, cet abattement douloureux où ses forces se consumèrent, sans qu’aucune révélation de l’idéal qu’il cherchait ardemment vînt à son secours, sans qu’aucun enseignement solide et vivifiant pénétrât de force dans sa solitude intellectuelle. Mais avant de signaler l’horrible insensibilité, ou, pour mieux dire, la déplorable nullité du rôle maternel de cette société à l’égard de ses plus nobles enfans, nous peindrons davantage le caractère de celui-ci, et l’on comprendra dès-lors ce qui lui a manqué pour réchauffer dans ses veines l’amour de la vie.

C’était une de ces ames froissées par la réalité commune, tendrement éprises du beau et du vrai, douloureusement indignées contre leur propre insuffisance à le découvrir, vouées en un mot à ces mystérieuses souffrances dont René Obermann et Werther offrent sous