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puissance gouvernementale qui tyrannisaient nos consciences sans permettre l’exercice de la raison humaine. Pour nos enfans, ce sont des athées qui, ne s’inquiétant ni de la raison ni de la conscience, leur prêchent pour toute doctrine le maintien d’un ordre monstrueux, inique, impossible. Étonnez-vous donc que cette génération produise des intelligences qui avortent faute d’un enseignement fait pour elles, et des cerveaux qui se brisent dans la recherche d’une vérité que vous flétrissez de ridicule, que vous traitez de folie coupable et d’inaptitude à la vie sociale ? Il vous sied mal, en vérité, de dire que ceux-là sont des fous, car vous êtes insensés vous-même de croire à un ordre basé sur l’absence de tout principe de justice et de vérité. Nos enfans n’accepteront pas vos enseignemens, et, si vous réussissez à les corrompre, ce ne sera pas à votre profit.

Peut-être un jour vous diront-ils à leur tour : — Laissez-nous pleurer nos martyrs, nous autres poètes sans patrie, lyres brisées, qui savons bien la cause de leur gémissement et du nôtre. Vous ne comprenez pas le mal qui les a tués ; eux-mêmes ne l’ont pas compris. Pour voir clair en soi-même, pour s’expliquer ces langueurs, ces découragemens, pour trouver un nom à ces ennuis sans fin, à ces désirs sans but saisissable et sans forme connue, il faudrait avoir déjà une première initiation, et, dans ces temps de décadence et de transformation, les plus grandes intelligences ne l’ont eue que bien tard et ne l’ont conquise qu’après de bien rudes souffrances. Saint Augustin n’avait-il pas le spleen, lui aussi, et savait-il, avant d’ouvrir les yeux au christianisme, quelle lumière lui manquait pour dissiper les ténèbres de son ame ? Si quelques-uns d’entre nous aujourd’hui ouvrent aussi les yeux à une lumière nouvelle, n’est-ce pas que la Providence les favorise étrangement ; et ne leur faut-il pas chercher ce grain de foi dans l’obscurité, dans la tourmente, assaillis par le doute, l’ironie, l’absence de toute sympathie, de tout exemple, de tout concours fraternel, de toute protection dans les hautes régions de la puissance ? Où sont donc les hommes forts qui se sont levés dans un concile nouveau pour dire : — Il importe de s’enquérir enfin des secrets de la vie et de la mort, et de dire aux petits et aux simples ce qu’ils ont à faire en ce monde. Ils savent bien déjà que Dieu n’est pas un vain mot, et qu’il ne les a pas créés pour servir, pour mendier ou pour conquérir leur vie par le meurtre et le pillage. — Essayez de parler enfin à vos frères cœur à cœur, conscience à conscience ; vous verrez bien que des langues que vous croyez muettes se délieront, et que de grands enseignemens monteront d’en bas