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L’HINDOUSTAN. — AFFAIRES DE CHINE.

Montesquieu a dit : « Le monde se met de temps en temps dans des situations qui changent le commerce. » Quand on pense à quel degré et à quelle nature de pouvoir la compagnie anglaise des Indes orientales est arrivée de nos jours, et qu’elle tient en ses mains la destinée de la moitié des peuples de l’Asie, il semble qu’on puisse dire à plus juste titre : « Le commerce se met de temps en temps dans des situations qui changent le monde. » La constitution actuelle et la nature du gouvernement de la compagnie nous montreront jusqu’à quel point, à son égard, cette conclusion est fondée.

Ce n’est pas ici le lieu de suivre dans toutes ses phases le développement de ce pouvoir colossal ; cependant il importe de bien constater un fait important que nous venons d’indiquer, fait déguisé, il est vrai, sous l’appareil des formes commerciales, mais qui perce au travers des chiffres et se révèle par les hésitations et les précautions affectées, d’une ambition que les honneurs vulgaires et les profits du négoce ne pouvaient satisfaire. Depuis un siècle et demi, le commerce a cessé d’être le but exclusif ou même le but principal de la compagnie. Le pouvoir, les possessions territoriales, l’empire, voilà ce qu’elle a convoité sans presque oser le vouloir, voilà le résultat vers lequel elle a été fatalement entraînée, et qu’elle n’a complètement atteint que depuis quelques années.

Nous envisageons ici la question sous son point de vue le plus général ; nous admettons que, dans l’origine, les diverses associations qui se sont formées en Angleterre pour envoyer des flottes marchandes aux Indes orientales, ne songeaient qu’aux profits que pourraient réaliser les cargaisons de retour ; mais, à dater de 1689, et surtout depuis la fusion des deux grandes compagnies rivales en une seule, et la constitution définitive de la compagnie actuelle en 1702-1708, la tendance à l’agrandissement, l’esprit de conquête, la volonté de devenir puissance dans l’Inde, se sont montrés en toute occasion, et ont dominé toute question commerciale. Les archives de la compagnie fournissent à cet égard un document d’autant plus curieux, qu’il révèle, à une époque si reculée, la pensée tout entière de ce gouvernement, pensée ambitieuse et cupide à la fois. Les directeurs, dans les instructions envoyées à leurs principaux agens dans l’Inde, en 1689, s’exprimaient ainsi :

« L’augmentation de nos revenus est un sujet qui nous intéresse autant que la prospérité de notre commerce : c’est cela qui nous rendra forts, tandis que vingt accidens peuvent interrompre notre commerce ; c’est avec cela que nous deviendrons une nation dans l’Inde ;