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L’administration de lord Auckland paraît s’être moins adressée aux sympathies de la masse des populations indigènes que celle de lord Bentinck. On l’accuse surtout d’avoir adopté des mesures financières dont le principe et le mode d’exécution blessent la justice et ne remplissent les coffres de l’état qu’aux dépens de l’affection des contribuables et souvent au mépris de leurs droits. Les réclamans, dit-on, ont été livrés à la merci des secrétaires et ont vainement sollicité la permission de faire un appel direct à la commisération et à l’équité du gouverneur-général. Des propriétaires ruinés, des princes dépossédés, auraient suivi sa seigneurie dans ses dernières tournées sans pouvoir obtenir d’audience. Deux fois lord Auckland aurait visité la ville impériale de Dehli, et deux fois il l’aurait quittée sans l’échange ordinaire de complimens officiels avec le chef de la plus noble race et de la plus ancienne peut-être du monde asiatique. Entouré de ses gardes, enivré des victoires que la vigueur et la prévoyance de sa politique avaient préparées, lord Auckland aurait ignoré toutes les misères infligées à la population par les mesures financières auxquelles nous avons fait allusion, et qui fournissent aux collecteurs des revenus de dangereux prétextes pour contester la validité des titres et ébranler des droits de propriété long-temps respectés ; en un mot, lord Auckland aurait été, sans le savoir, l’instrument d’une accablante oppression, et le gouvernement s’apercevra trop tard que l’estime et la confiance des peuples ont fait place à une haine implacable qui saisira avidement toutes les occasions de vengeance.

Il y a, nous n’en doutons pas, une grande partialité dans ce jugement porté sur l’administration intérieure de lord Auckland ; mais il nous paraît extrêmement probable que les préoccupations continuelles de la haute politique n’ont pas permis à ce gouverneur-général de donner son attention à des détails dont les parties intéressées se sont aisément exagéré l’importance, et on ne saurait nier que l’aspect général des affaires n’ait présenté dans ces dernières années des symptômes assez alarmans pour appeler toute la sollicitude, toute l’activité et toutes les ressources du gouvernement suprême. Les intrigues de la Perse et de la Russie d’un côté, l’attitude hostile du Népal et de l’empire birman de l’autre, les dispositions douteuses de certains états tributaires dans le nord-ouest et dans le Dekkan ; enfin, les complications que pouvaient amener d’un instant à l’autre la mort de Randjit-Singh et l’incapacité reconnue de l’héritier présomptif du trône du Pandjab ; toutes ces causes réunies faisaient une loi à lord Auckland de s’occuper, avant tout, du renversement de toute opposition intérieure à