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POÈTES ET ROMANCIERS DE L’ALLEMAGNE.

question de mariage ; il parle d’une aimable jeune fille avec force biens au soleil. Mais son heure n’était pas venue, son inquiétude ne pouvait encore se fixer et s’asseoir, il avait besoin de faire le tour du monde pour gagner l’appétit du repos. D’ailleurs, son ame se tournait toujours du côté de l’Allemagne, où étaient les amis de son premier âge, ses souvenirs, ses habitudes, et vers laquelle, malgré son attachement pour une famille qui en était digne, le reportaient sans cesse les penchans et les besoins de sa nature.

Il revint à Berlin, mais ses amis étaient absens et dispersés ; il y passa trois ans sans occupation déterminée, dans un état de mécontentement intérieur et d’abattement auquel le sage Hitzig ne voyait qu’un remède : faire une folie pour avoir à la réparer, et retrouver par là de l’activité et un but. Chamisso lui-même peint assez poétiquement, dans une lettre datée de Berlin 1808, cet état de malaise et de langueur qui l’accablait. « Je serais heureux de me sentir lié et de savoir précisément ce que j’aurais à exiger de moi ; car le vide dans lequel les évènemens me laissent flottant, de sorte que mes ailes s’affaissent comme celles de Satan dans Milton ; ce vide me fatigue mortellement et me plonge en un sommeil engourdissant pareil à celui qu’on éprouve dans les hautes régions de l’atmosphère. » Chamisso souffrait de la position fausse que lui faisait sa naissance. Étranger au milieu de l’élan libérateur de l’Allemagne, auquel il ne pouvait prendre part, il se sentait avec colère languir dans l’inaction, et, comme il le disait avec une énergie un peu grossière, « au milieu de toute cette fermentation, tomber en pourriture sans même donner de fumier ! »

En 1810, Chamisso fut appelé en France pour y occuper une place de professeur au collége de Napoléonville. Ce voyage le mit en rapport avec M. de Barante, préfet de la Vendée, et Mme de Staël, qui habitait alors le château de Chaumont, si pittoresquement placé sur la rive gauche de la Loire, entre Blois et Amboise.

Chamisso, avec sa rudesse, sa sauvagerie et sa pipe, faisait une singulière figure dans cette société spirituelle, élégante, romanesque, qui avait été la société de Coppet. Pourtant on appréciait l’élévation de son ame, la simplicité de son cœur, l’originalité de son esprit. Pour lui, il était là un peu étonné, un peu contraint et à demi séduit, comme un Scythe dans Athènes. Il a exprimé avec une vivacité assez brusque l’impression que faisait sur lui la femme extraordinaire dont le hasard l’avait rapproché. « En somme, Mme de Staël me plaît plus que l’Allemand (Schlegel) ; elle a un sentiment plus vrai de la