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POÈTES ET ROMANCIERS DE L’ALLEMAGNE.

ger[1]. La tâche était difficile. S’il est un poète national par le génie autant que par les sentimens qu’il exprime, c’est Béranger, et je ne puis accorder à son traducteur que, dans beaucoup de ses peintures de mœurs, il se rapproche du génie allemand plus qu’aucun de nos compatriotes. C’est une louange à laquelle Béranger sans doute n’a jamais prétendu.

La difficulté de l’entreprise tentée par Chamisso et son ami se trahit surtout dans les pièces d’un caractère gai et folâtre. Les habitudes de la langue et de la poésie allemande vont mal à l’enjouement de l’auteur original. Dans la chansonnette intitulée la Grand’Mère, à côté de ce refrain :

Combien je regrette
Mon bras si dodu,
Ma jambe bien faite
Et le temps perdu !

M. de Gaudy a placé trois vers allemands que je traduis à mon tour plus fidèlement qu’ils ne l’ont été eux-mêmes du français :

« Je comptais quinze ans à peine, lorsque dans mon cœur timide s’éleva le premier songe de l’amour.

Chamisso ne germanise pas à ce point son auteur. Cependant il cède encore trop souvent à l’influence du langage poétique allemand ; par exemple, quand il traduit ainsi le second vers du premier couplet à mon vieil habit :

Nicht wahr, mitsammen wandern wir an grab ?

« N’est-il pas vrai, nous cheminons ensemble au tombeau ? »

Il y a ici une solennité lugubre peu en harmonie avec le sujet et le ton général du morceau. Mais tout à coup je me souviens que les traductions dont je parle occupèrent les dernières années de Chamisso, ces années douloureuses, et je crois surprendre l’expression d’un triste pressentiment dans l’accent sérieux de ce vers mélancolique. Alors je me reproche cette critique légère, et je ne vois plus que le tombeau vers lequel il se sentait alors marcher, et dans lequel aujourd’hui il est descendu. Du reste, Chamisso choisit en général,

  1. Wir haben unsern author oft mehr verdeutscht als ubersetzt, préf., pag. 12.