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livre de raillerie contre l’héroïsme, et ce livre, qui lui donne du pain et de la gloire, porte le nom de Miquel Cervantes y Saavedra. L’idée ne lui vient pas de trafiquer de ses aventures, de vendre son passé et de débiter en détail ses exploits. C’est la faute de cet orgueil muet, si les faits nous manquent absolument sur la vie du grand Calderon, de Gabriel Tellez le satirique, et même de ce bavard si fécond, Lope de Vega, objet de trop d’admirations modernes. Je pense que les grandeurs altières et exclusives de ce pays ont contribué à sa décadence ; de même, certains individus, doués de qualités dangereuses, maladroites, odieuses au vulgaire, appellent sur leurs têtes le malheur ou l’obscurité.

Au milieu de cette littérature épique, exempte de vanité, pleine d’orgueil, à demi ensevelie dans sa fierté, aujourd’hui l’une des moins étudiées parmi toutes celles de l’Europe moderne, et l’une des plus dignes d’étude, on découvre cependant un livre consacré à des mémoires particuliers. Ce ne sont pas les mémoires de Lopez Ayala, dans lesquels il est à peine question de l’auteur. Le livre dont je parle fut écrit à la fin du XVIe siècle, par un ministre de Philippe II, secrétaire d’état.

Des circonstances étranges, un crime, une intrigue d’amour, l’exil, la persécution et la torture lui arrachèrent sa confession. Antonio Perez, forcé de prendre la plume, raconta sa vie, non dans un récit agréable et bien lié, mais sous forme de plaidoyer et sans suite. Ce fut en France seulement qu’il publia ses mémoires, non pour satisfaire son amour-propre, mais pour se justifier d’un assassinat et pour se venger. Chose plus notable encore, cette publication, précieuse pour l’histoire politique, tient de près à l’une des grandes phases de notre histoire littéraire, comme je le prouverai bientôt.

C’est un très beau livre sous ces deux rapports.

Les Mémoires ou Relations[1] d’Antonio Perez jettent une double clarté sur la cour de Philippe II, roi d’Espagne, et sur le mouvement des intelligences françaises vers le commencement du XVIIe siècle. Elle est si évidente, si vive et tellement singulière, que l’on s’éton-

  1. Relaciones de Antonio Perez, secretario de estado, que fue del rey de España don Philippe II, deste nombre, 1602-1624. — Paris. — Genève. — Londres. — Œuvres politiques et amoureuses d’Antonio Perez, traduites par Dalibray, Paris, 1612, id. 1624. — Ant. Perezii ad comitem Essexium… Epistolarum centuria una. Parisiis. — Cartas de Antonio Perez, Paris. — Aforismos de Antonio Perez, Paris, quatre éd. — Sentences notables, extraites des œuvres de dom Antonio Perez, etc., id., par Gautier, Paris.