Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/713

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
709
ANTONIO PEREZ.

sant vouloir les réconcilier avec leurs ennemis, se tirant à force de ruse du pas difficile dans lequel il était engagé ; employant, pour la conduite de toute cette intrigue, son confesseur, Fray Diego de Chaves, celui-là même qui mena don Carlos à la mort, et finissant par jeter l’altière favorite qui l’avait trompé dans une forteresse, et Antonio Perez en prison. Mais la prison de Perez ne fut point cruelle ; Philippe avait trop de prudence pour irriter le maître d’un secret si redoutable. Le roi semblait céder aux obsessions des Escovedo. Tout laissait croire au secrétaire d’état que le roi satisfaisait aux nécessités d’une situation malheureuse, et voulait détourner, en la servant à demi, la colère de la famille offensée. La charge d’Antonio lui était conservée ; ses amis lui rendaient visite ; on le gardait seulement à vue dans sa maison. Pendant huit mois, les choses se passèrent ainsi. Au milieu de cette mansuétude apparente, on instruisait sans bruit un procès contre Perez, tout-à-fait étranger à l’accusation de meurtre, et relatif à d’autres faits de nature fort légère, détournés de leur vrai sens, transformés en crimes d’état, et frappés de condamnations pécuniaires et corporelles, sans aucun rapport avec le peu de gravité des charges. Philippe II tuait son adversaire avec la plus grande douceur ; il le saignait à blanc, sans paraître seulement le toucher, en lui ouvrant la plus petite veine du monde. Antonio s’en apercevait ; il éleva la voix, on resserra sa prison ; il s’enfuit, prit asile dans une église, on l’en arracha. Sa femme, alors enceinte, fut jetée dans un cachot. Pour achever de le vaincre, on lui fit subir la torture. Dans ce même instant, le roi, par un petit billet, lui mandait encore d’avoir courage, qu’on ne l’abandonnait pas, que tout irait mieux, et que surtout il se gardât bien d’avouer qu’Escovedo eût été tué par son ordre. Mais le plus aveugle eût ouvert les yeux sur les intentions de Philippe. Antonio déclara aux gens qui le torturaient, qu’il avait commandé le meurtre, mais cela par ordre exprès du roi, qu’il en possédait encore les preuves, que plus de cent lettres du roi à lui et de lui au roi, toutes apostillées et commentées par ce dernier, étaient demeurées en sa possession, que le vénérable Escobar, qui avait déchiffré les lettres d’Escovedo, le savait aussi, et qu’il invoquait en faveur de sa véracité, en faveur d’une confession involontaire enfin arrachée par tant de douleurs, le jugement de Dieu et des hommes.

Il eût été absurde d’attendre alors les résultats de la vengeance royale. Doña Joana Coello, sa femme, qui montra pendant toutes les persécutions de son mari une constance héroïque, le fait évader de la prison. Un ami, Gil De Mesa, lui fraie la route. À neuf heures du soir,