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REVUE. — CHRONIQUE.

La question d’Orient est toujours grave et menaçante, bien que, dans ce moment, elle semble se trouver dans une sorte de temps d’arrêt.

Sans doute, lorsqu’on ne regarde qu’à la situation générale de l’Europe, à ces traits saillans qui, dans chaque pays, frappent tous les yeux, on est porté à croire que la paix du monde ne peut être sérieusement troublée par la question d’Orient.

Aucune des grandes puissances ne peut songer de propos délibéré à intervenir en Orient, et à trancher par la force les difficultés qui s’y élèvent. La Russie aurait d’immenses distances à parcourir, non d’Odessa à Constantinople, mais de Constantinople, ou des principautés, au Taurus, si jamais elle songeait à joindre l’armée égyptienne et à occuper les possessions du pacha. Elle a appris à ses dépens, dans ses précédentes campagnes, à combien de fatigues et de maladies mortelles on expose les soldats dans ces expéditions ; elle n’a pas hâte sans doute d’en tenter une de plus, occupée qu’elle est en Circassie et dans les déserts des Turcomans. L’Angleterre se trouve avoir sur les bras à la fois la petite affaire de Naples, la grosse affaire de la Chine, le Canada et l’Irlande ; enfin elle n’est qu’au début de sa marche dans l’Asie centrale, où ses relations se compliquent de jour en jour. Pourrait-elle être tentée de chercher une grande aventure en Égypte ? La France, dont la sollicitude pour la paix du monde est désormais généralement reconnue et appréciée, ne saurait être suspectée de vouloir mettre le feu à la question d’Orient. Bref, chez les puissances européennes, y compris la Russie, la résolution de maintenir la paix n’est pas douteuse. Ainsi les grandes circonstances sont toutes favorables à une solution pacifique.

Peut-être cette solution serait-elle déjà réalisée, si un peu de laisser-aller, un peu de mollesse ne l’avait pas retardée. Peut-être n’avons-nous pas montré toute l’énergie, toute la fermeté nécessaires, énergie et fermeté dont tout le monde, en dernier résultat, nous aurait su gré, même ceux qui en auraient été au premier moment quelque peu froissés.

Car si les grandes circonstances sont toutes favorables au maintien de la paix, les petites circonstances et les incidens peuvent la compromettre d’un instant à l’autre.

C’est là ce qui préoccupe tous les bons esprits, et avant nous, nous le croyons, le chef actuel du cabinet. Le pacha d’Égypte sait qu’à son grand âge il lui faut un prompt dénouement ; il sait qu’il ne léguera rien à ses enfans tant que ce dénouement ne sera pas opéré, et la vigueur de son esprit peut l’entraîner d’un moment à l’autre à faire un pas décisif. Cette situation s’aggrave encore par la nature des relations journalières du vice-roi avec le colonel Hodges, consul-général anglais, dont le caractère est une reproduction, même un peu rude, de celui de lord Ponsomby. Ajoutons que l’ordre donné par le gouvernement anglais au colonel Hodges de délivrer des passeports anglais aux officiers de la flotte ottomane n’est pas de nature à calmer Méhémet-Ali.

En somme, on ne peut se dissimuler que la paix de l’Orient peut dépendre d’un mouvement d’humeur du pacha, mouvement d’autant plus à redouter,