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Toutefois, après le ravissement causé par l’aspect d’une œuvre d’art, arrivent nécessairement les réflexions, les comparaisons, le jugement. L’esprit humain est ainsi fait. A-t-on été vivement ému ? on repasse, à part soi, ses impressions, on les rapproche de celles qu’on a précédemment ressenties, on les compare et l’on juge ; la critique n’est que la rédaction officielle de ces réflexions intimes, de ces jugemens fugitifs et inexprimés. Les soldats de l’armée d’Égypte, qui battirent des mains à la vue des ruines de Thèbes, placés plus tard au pied du Colysée ou sous les arcades de l’Alhambra, furent, sans aucun doute, saisis d’un enthousiasme à peu près égal au premier ; puis ils durent comparer leurs impressions anciennes aux nouvelles, et, sciemment ou non, prononcer entre leurs divers souvenirs. La critique, qui est l’expression généralisée de ces impressions partielles, a, comme on voit, sa racine dans la conscience humaine, tout aussi bien que le génie plastique, poétique et musical. De même que l’artiste exprime avec éclat ce que le vulgaire a vu, entendu ou senti obscurément ; de même le critique apprécie avec netteté ce que la foule admire, compare et juge confusément. Le génie et la critique ont l’un et l’autre atteint leur but, bien inégal, sans doute, quand ils sont avoués et tenus pour vrais par celles de nos facultés dont ils se sont constitués les interprètes. D’ailleurs, je le répète avec conviction, la base de la critique est l’admiration ; c’est là son point de départ, sa raison d’existence. Toute œuvre qui ne mérite pas de faire naître ce sentiment à un degré quelconque est indigne d’occuper la pensée, le souvenir, le jugement d’aucune créature sérieuse. il n’y a pas tout d’abord de grandes beautés à reconnaître, il n’y a rien à faire pour la critique, qu’on peut à bon droit définir, la mesure dans l’admiration.

Si cette définition est juste, comme je le crois, on ne s’étonnera pas que nul poète de ce siècle n’ait autant exercé et passionné la critique que l’auteur des Feuilles d’automne et d’Hernani. Il n’est pas une seule de ses nombreuses et fortes productions qui ne fournisse amplement matière à l’admiration des moins enthousiastes, et qui n’offre, en même temps, l’occasion de quelques réserves aux moins sévères. Dans le nouveau volume, la proportion des beautés sur les défauts nous paraît s’être accrue. Les Rayons et les ombres nous semblent non-seulement un nouveau pas, mais, à quelques égards, un pas plus ferme et plus décisif, dans la carrière où M. Hugo est incontestablement supérieur, dans le genre lyrique.

En effet, quoique l’auteur de Marion de Lorme et de Notre-Dame