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LES RAYONS ET LES OMBRES.

Furieux ! — d’un regard ma mère m’apaisait[1].
Aujourd’hui, ce n’est plus pour une cage vide,
Pour des oiseaux jetés à l’oiseleur avide,
Pour un dogue aboyant lâché parmi des fleurs
Que mon courroux s’émeut. Non, les petits malheurs
Exaspèrent l’enfant ; mais, comme en une église,
Dans les grandes douleurs l’homme se tranquillise.
Après l’ardent chagrin, au jour brûlant pareil,
Le repos vient au cœur, comme aux yeux le sommeil.
De nos maux, chiffres noirs, la sagesse est la somme.
En l’éprouvant toujours, Dieu semblant dire à l’homme :
— Fais passer ton esprit à travers le malheur ;
Comme le grain du crible, il sortira meilleur.
J’ai vécu, j’ai souffert, je juge et je m’apaise.
Ou si parfois encor la colère mauvaise
Fait pencher dans mon ame avec son doigt vainqueur
La balance où je pèse et le monde et mon cœur ;
Si n’ouvrant qu’un seul œil je condamne et je blâme,
Avec quelques mots purs, vous, sainte et noble femme,
Vous ramenez ma voix qui s’irrite et s’aigrit
Au calme, sur lequel j’ai posé mon esprit ;
Je sens sous vos rayons mes tempêtes se taire ;
Et vous faites pour l’homme incliné, triste, austère,
Ce que faisait jadis pour l’enfant doux et beau
Ma mère, ce grand cœur qui dort dans le tombeau !


Toute cette effusion lyrique est d’un naturel, d’une grace, d’une élévation, d’une vérité incomparables. Langage, mouvement, pensées, tout ici est à louer sans réserve ; et combien nous pourrions citer dans le recueil de morceaux d’une valeur égale : les Vers à la duchesse d’A., la Tristesse d’Olympio, le Regard jeté dans une Mansarde !

Nous avons parlé des sentimens et des pensées ; il nous reste à dire quelques mots de la question de forme et de langage. Ces questions, quoique subalternes, doivent plus que jamais tenir une certaine place dans toute discussion relative à M. Hugo.

La forme, c’est-à-dire la facture de la strophe et du vers, est ici, comme dans les volumes qui ont suivi les Orientales, parfaitement souple, gracieuse et belle ; la rime a toute sa richesse habituelle, et

  1. Ce trait rappelle le compressa quiescent des Géorgiques. Mais quelle admirable imitation ! quel souvenir agrandi ! C’est là de l’exquise poésie classique et comme il serait désirable qu’en fissent souvent ceux qui s’en piquent.