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LES RAYONS ET LES OMBRES.

Si, par un système que l’accent italien réprouve, M. Hugo a prétendu rendre à la belle Avignonaise le nom que son amant lui donnait, il aurait dû, pour être conséquent, écrire aussi Petrarca. Mais M. Hugo ne tient pas, et avec raison, à ce mode de transcription littérale qui n’est pas toujours le plus fidèle[1]. Il n’y tient même pas toujours assez, car il change (pag. 309), comme il l’avait déjà fait dans les Voix intérieures, le nom d’Albert Durer en Albert Dure, ce qui est une attention pour l’oreille, mais une affreuse barbarie pour les yeux. Mieux aurait valu indiquer la prononciation par une note, comme dans la petite pièce XXII, intitulée Guitare, où M. Hugo n’a pas hésité à écrire mont Falù, destiné à rimer avec fou.

Malgré le petit nombre de passages où la contrainte de la rime a laissé son empreinte, M. Hugo, il faut le dire, remplit d’une manière admirable cette première et impérieuse obligation du poète. La valeur vraiment musicale qu’il a su donner à la rime lui permet d’imprimer, comme nous l’avons dit, à la marche de ses périodes une grace et une liberté singulière. Il est impossible de se montrer, dans la coupe du vers, novateur plus habile et plus fidèle en même temps aux exigences de l’oreille. Je n’ai pu découvrir dans tout le volume qu’un seul vers (page 37) dont la césure soit décidément mauvaise :

Où, mer qui vient, esprit des temps, mêlée obscure.

Aussi n’est-ce plus depuis long-temps, à propos de l’enjambement ni de la césure que les adversaires de M. Hugo lui font la guerre. Toutes les objections sont dirigées contre les procédés irrespectueux et les violences que M. Hugo s’obstine, dit-on, à faire subir à la langue. On sait sur ce point avec quel emportement M. Hugo est attaqué par un certain parti littéraire qui se montre uniquement préoccupé, dans ses critiques, de la pureté du langage, et qui devrait s’en préoccuper un peu plus dans ses œuvres. Pour nous, qui n’entendons depuis long-temps parler de M. Hugo que comme du fléau de Dieu, du destructeur systématique de la syntaxe, de l’Attila de la langue

  1. Il ne faut pas croire qu’en substituant Laura à Laure on se rapproche du nom véritable. Dans les deux cas, nous altérons un peu la prononciation de la première syllabe ; mais l’altération est beaucoup plus forte quand nous écrivons Laura, parce que nous portons forcément alors l’accent sur la finale, comme dans tous les mots de notre langue qui ne sont pas terminés par un e muet. D’où il suit que la forme Laura, identique pour les yeux à la forme originale, s’en éloigne en réalité et pour l’oreille beaucoup plus que l’ancienne forme Laure.