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PORT-ROYAL.

ment dans une personnalité forte et libre. Pendant qu’autour de lui presque tous les écrivains sont engagés sous diverses bannières et traduisent les questions soit de l’art, soit de la politique, dans une polémique ardente et partiale, M. Sainte-Beuve s’est attaché à retenir la disposition de lui-même pour être mieux en état de comprendre toute chose et de rendre bonne justice à tout le monde. Chaque jour l’a fortifié dans cette noble attitude, et c’est à cette persévérance laborieuse et digne que nous devons aujourd’hui le livre de Port-Royal, qui résume les qualités agrandies de son talent.

Il y a précisément deux siècles que le mouvement religieux qui a rendu Port-Royal célèbre commença. Si l’on se montrait surpris que Port-Royal n’ait pas trouvé plus tôt un historien sérieux et complet, cet étonnement dénoterait quelque irréflexion. Depuis les pages élégantes de Racine, il ne s’était pas encore rencontré d’époque vraiment ouverte à l’impartialité et à l’intelligence sur ces matières difficiles. Au XVIIe siècle, les doctrines de Port-Royal étaient persécutées. Le XVIIIe ne les connut que dans une sorte de décadence et de travestissement. Au commencement du XIXe siècle, elles étaient oubliées et partagèrent le discrédit où tombèrent pour quelque temps les questions religieuses et philosophiques. C’est seulement aujourd’hui qu’il est possible de peser ces doctrines ce qu’elles valent, et de les apprécier sans faveur comme sans dénigrement. Elles viennent à propos prendre place dans cette enquête équitable et universelle à laquelle se livre notre siècle sur les idées et les croyances qui ont agité le genre humain. Notre époque est juste, parce qu’elle est curieuse ; elle goûte peu le fanatisme et la partialité qui tendraient à dérober quelque chose à son examen, et son avidité de tout connaître est pour les systèmes, les sectes et les écoles une garantie excellente contre l’injure de l’oubli.

Les doctrines qui alimentaient la dévotion de Port-Royal, et dont Jansénius fut le théologien dogmatique, se rattachent à ce que le christianisme a de plus profond et de plus intime. Je voudrais en saisir le nœud, et le faire toucher au lecteur.

La nature humaine, dans les sociétés antiques, agissait avec une liberté presque irréfléchie. L’homme développait ses facultés et ses passions avec une impétuosité et une énergie qui lui permettaient peu de se replier sur lui-même pour s’examiner et se juger. Nous parlons des majorités et des masses, car il y a dans tous les temps des ames privilégiées qui se dérobent par leur grandeur à l’infériorité des autres hommes. Mais, pour les sociétés elles-mêmes, il est exact de dire que