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PORT-ROYAL.

fait ce que fera plus tard un autre Juif au nom de la métaphysique ; c’est ce qu’il appelait servir dans la nouveauté de l’esprit. Désormais l’humanité saura qu’elle doit abdiquer le passé, dépouiller le vieil homme, renoncer à ses opinions, à ses habitudes d’esprit, aux principes qui lui paraissent les plus raisonnables, et qu’elle ne peut se sauver qu’en croyant ce qui la choque le plus. L’humanité est ainsi faite qu’elle se précipitera avec un enthousiasme douloureux sur les pas de celui qui la condamne : elle aime au fond ce qui la heurte, ce qui la déroute et ce qui la contredit. La doctrine de Paul multiplie d’autant plus les nouveaux chrétiens qu’elle est plus absolue et plus sombre : ses duretés ont pour l’ame humaine un charme secret, une attraction irrésistible.

Trois cents ans après saint Paul, les maximes de l’apôtre furent développées par un beau génie que le christianisme conquit sur les lettres païennes. Qui était mieux préparé que saint Augustin pour accepter le dogme de la grace dans ce qu’il avait de plus divin et de plus fatal ? Le fils de Monique avait cherché partout la vérité ; il s’était long-temps arrêté aux sources de l’éloquence et de la philosophie antiques sans pouvoir étancher la soif qui le dévorait ; il était resté neuf ans dans la secte des manichéens sans trouver à leur école une réponse satisfaisante et claire aux difficultés qui le tourmentaient. Alors il passe du côté du Christ parce qu’il désespère de la science humaine, et, par un mouvement décisif, il va tout au fond de la nouvelle doctrine qu’il embrasse. Il commente saint Paul, il le développe, il le continue. Il enseigne que tous les hommes naissent dans le péché du premier Adam, et qu’il n’y a que la justice qui vient du second Adam qui les en puisse délivrer. Il faut que la grace de Dieu prévienne la volonté de l’homme, qui, de lui-même, est incapable d’accomplir ou même de commencer une bonne œuvre. On ne doit donc pas dire que c’est en vertu de nos mérites que la grace de Dieu nous est donnée, car alors la grace ne serait plus la grace, puisqu’elle ne serait plus que le paiement d’une dette et non pas un présent gratuit. « Ne voyez-vous pas, s’écrie saint Augustin dans son Traité de la Prédestination des Saints, que le dessein de l’apôtre est que l’homme soit humilié et que Dieu seul soit glorifié ? » Voilà le mot décisif ; et pour mieux abaisser la nature humaine, on lui déclare que la foi même est un don de Dieu, aussi bien dans son commencement que dans ses progrès et dans sa perfection ; que ce don est accordé aux uns et refusé aux autres ; qu’enfin, lorsque Dieu fait miséricorde, c’est une libéralité, et que lorsqu’il endurcit, c’est une juste rétribution. Saint Au-