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rer, sans parler ici de travaux nombreux d’érudition, de philosophie et de grammaire, ce que notre prose a de mieux aiguisé, ce que notre poésie a de plus harmonieux et de plus parfait.

Nous ne croyons pas nous tromper en affirmant que M. Sainte-Beuve a été attiré vers le sujet qu’il a traité par la variété de son origine, de ses épisodes et de ses développemens. S’il ne s’était agi que de tracer l’évolution directe d’une grande opinion religieuse, il est probable que M. Sainte-Beuve ne se fût pas chargé d’une tâche exclusivement théologique ; mais il n’a pu résister au désir de raconter et de peindre un incident compliqué qui traverse l’histoire de l’église et de l’ancienne société française, touche à tous les intérêts de la religion, des lettres et de la politique, et a l’avantage de présenter dans un cadre non moins vaste que limité tout ce que les passions et les pensées humaines peuvent avoir de délicat et de profond. La vie intime du cloître, les pratiques et les secrets d’une dévotion ardente, les combats d’une piété mystique contre les attaches du monde et contre les sentimens de la nature et de la famille, tout cet intérieur de spiritualité raffinée a eu pour le peintre de Mme de Couaën un attrait auquel il a bien fait de céder. D’un autre côté, les aspects littéraires du sujet, les noms illustres qui s’y produisent, les chefs-d’œuvre de prose et de poésie qui s’y rattachent d’une façon plus ou moins directe, toute cette histoire de l’art, qui mêle son éclat à l’histoire de la religion et s’éclaire elle-même de son jour, ouvrait à l’auteur des Critiques et Portraits une carrière à laquelle il ne pouvait se refuser.

Il était même à craindre qu’au milieu de tant de contrastes l’importance dogmatique du fond fût un peu éclipsée ; mais par son talent de composition l’auteur a su éviter cet écueil. Dans son livre, la question fondamentale agitée par Jansénius est véritablement la première pierre et la base ; elle reparaît toujours, quand il le faut, comme la cause et le but des actions et des paroles des personnages du drame. Elle est traitée avec intelligence et respect, et toutefois l’historien de Port-Royal a eu l’art et le tact de n’intervenir dans ces débats de la théologie que comme un amateur, scrupuleux il est vrai, mais qui se borne à commenter moralement et à reproduire. Ailleurs, M. Sainte-Beuve dit aussi : « Quand Port-Royal ne serait pour nous qu’une occasion, une méthode pour traverser l’époque, et quand on s’en apercevrait, l’inconvénient ne serait pas grand. » On concevra sans peine le charme que répand dans tout l’ouvrage cette discrétion habile et savante. Le lecteur est conduit, jusqu’aux derniers aperçus et jus-