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les nombreux anneaux que lui ont donnés ses maîtresses. Aujourd’hui qu’il a perdu sa vieille énergie et qu’il a subi une nouvelle transformation, il aime encore à raconter ses prouesses. Un jour, au siége de Trébisonde, il a pénétré seul dans la tente du sultan, et, le prenant par la barbe, il l’a traîné à travers son camp, tandis que, de la main qui lui restait libre, il écartait les assaillans et tenait en respect toute l’armée ennemie. Quand il rentra dans la ville, sa cuirasse était hérissée d’un si grand nombre de flèches, qu’on l’eût pris pour un porc-épic. C’est de ce jour que l’image d’un porc-épic fait partie de son écusson. Une autre fois il sauta seul sur une galère barbaresque qui longeait la côte de Sicile, et, jouant de son grand sabre, il fit un tel carnage de ces mécréans, que le pont du bâtiment ressemblait à l’étal d’un boucher. Les Sarrasins, épouvantés, se jetèrent à ses genoux et le supplièrent de vouloir bien leur permettre de conduire la galère dans le port de Messine, où le héros fut reçu en triomphe. Sa galanterie égale sa bravoure, et, lorsqu’il s’attaque à une beauté, il a de si merveilleux moyens de séduction, qu’il ne trouve jamais de cruelles. Il renverse les tours, brise les portes de fer, ou, comme un dieu grec, s’insinue sous la forme d’une pluie d’or. Il est telles de ses prouesses galantes qui depuis ont trouvé des imitateurs. Un jour, par exemple, que dans la compagnie de la princesse Gilyme d’Apremont il galopait sur les rives du Garigliano, celle-ci, fatiguée de ses protestations amoureuses, lui dit en plaisantant : Le feu qui consume mon chevalier est donc bien ardent ? — En doutez-vous, cruelle ? — Nullement, mais je sais un moyen de te soulager ; c’est de te jeter dans ce fleuve. — Toutes ses eaux ne pourraient éteindre ma flamme. — C’est une galante manière de t’exprimer ; aussi ne te croirai-je que si je te voyais sortir de ses flots brûlant toujours du même amour. — En vérité, belle princesse ! — Et l’intrépide amoureux enfonce ses éperons dans les flancs de son coursier, et se précipite au milieu du fleuve. Il courut grand risque de se noyer, et ce ne fut qu’en abandonnant son cheval qu’il put gagner le bord, tout ruisselant, mais dévoré des mêmes feux. La princesse tint donc parole et récompensa un si noble dévouement. Comme les capitans ses ancêtres, le matamore était magnifique en paroles ; mais sa bourse était toujours vide, et, sous sa belle cuirasse richement damasquinée, il ne portait qu’un méchant pourpoint de peau de buffle tout usé et n’avait pas de chemise. Vers la fin du XVIIe siècle, quand la paix succéda à la guerre et le repos aux aventures, le héros déposa le harnais et prit le triste et singulier vêtement qu’on lui voit encore. C’est alors qu’il devint le possesseur d’une