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LE THÉÂTRE EN ITALIE.

naïf, parfois même enfantin, et un laisser-aller de nigaud ; mais on ne se figurerait jamais tout ce que, sous sa balourdise et son apparente bonhomie, il sait cacher d’astuce, de noirceur et même de férocité ; c’est bien de lui qu’on peut dire que sa gaieté est implacable, car il n’est jamais plus méchant que lorsqu’il s’abandonne à sa grosse joie. S’il se met à rire, c’est qu’il vient de faire quelque mauvais coup ; rit-il aux éclats, tenez pour certain qu’il a tué son homme.

Il signore Pulcinella est peut-être bon croyant, mais il y paraît peu : il assomme un moine comme il assommerait un derviche. Nous ne le croyons donc ni chrétien ni Turc ; il a déjà vu, il est vrai, passer plus d’une religion ; toutefois, sur ces matières-là, il est fort réservé et sait parfaitement tenir sa langue en bride : il le faut bien. Pulcinella, comme Stentarello et Cassandrino, et en général comme tous ces personnages ultramontains, aime passionnément le beau sexe, mais il est rarement dupé comme eux ; sa grande expérience lui a fait connaître d’irrésistibles moyens de séduction. Avec les femmes il est dur, caustique, méchante langue, insolent quelquefois, entreprenant toujours ; aussi, malgré les petites mais trop visibles imperfections de sa personne, réussit-il auprès d’elles d’une manière inexplicable. Pulcinella se pique peu de constance ; il se fait gloire de tromper sa femme quotidiennement et de changer de maîtresse beaucoup plus souvent que de chemise ; nous devons dire cependant, à la louange de Pulcinella, que, pour un Napolitain, il porte en général du linge assez blanc. La célébrité de ce personnage est européenne ; aussi nous dispenserons-nous de dessiner sa personne et de décrire son costume, qui, d’un peuple à l’autre, varie peu. Chez nous, il a conservé son nom ; les Anglais l’appellent Punch, et les Allemands Hanswurst, ce qui veut dire Jean Saucisse. Nous ne raconterons pas non plus son histoire vulgaire et ses aventures si connues. Qui de nous ne l’a vu assommer amis, femme, commissaire, médecin, gendarmes, et tenir même bravement tête au diable en personne, auquel il croit à peine ? N’a-t-il pas en effet déjà vu détrôner Pluton ?

Ce grand drame de Polichinelle se joue dans toute l’Europe et même en Orient, et, à quelques variantes près qu’y apporte le génie national de chaque peuple, le fond en est toujours le même. Dans l’enfance il a fait nos délices, et plus tard il nous fait sourire encore. À Naples, il signore Pulcinella est un type invariable au moral comme au physique, mais il figure au milieu d’évènemens divers et de situations bizarres qui servent au développement de son caractère. On croirait que le caractère invariable de ce favori des Napolitains devrait