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le trouve bon et moins à dédaigner qu’il ne nous semble à nous autres. Si jamais M. Auber était las des dédains que les grands génies de notre temps affectent à son égard, nous lui conseillerions de faire un voyage dans la patrie de Beethoven et de Weber, et là peut-être, en assistant aux succès prodigieux que ses partitions obtiennent sur toutes les scènes, en entendant toutes ces voix formées aux mélodies du Freyschutz, d’Euryanthe et de Fidelio, entonner le soir, en plein vent, les chœurs de la Muette ou les motifs de l’Ambassadrice, peut-être il se consolerait de n’avoir point écrit des symphonies philosophiques et des opéras humanitaires.

En affichant pour son jour d’ouverture le Pré-aux-Clercs d’Hérold, l’Opéra-Comique a fait un acte de convenance qui lui a réussi. C’est ainsi que depuis quelques années les Italiens ont pris la coutume d’inaugurer la saison d’hiver avec les Puritains de Bellini ; et peut-être y aurait-il plus d’un rapprochement à faire entre ces deux partitions, œuvres suprêmes de deux génies qui se ressemblaient tant. Écoutez le Pré-aux-Clercs ; que de mélancolie dans ces cantilènes si multipliées ! que de pleurs et de soupirs étouffés dans cette inspiration maladive ! comme toute cette musique chante avec tristesse et langueur ! Il y a surtout au premier acte une romance d’une mélancolie extrême ; l’expression douloureuse ne saurait aller plus loin. Eh bien ! cette phrase d’un accent si déchirant, vous la retrouvez dans les Puritains ; et, chose étrange, pour que rien ne diffère, les paroles sur lesquelles s’élève cette plainte du cygne, les paroles sont presque les mêmes : Rendez-moi ma patrie ou laissez-moi mourir, chante Isabelle dans le Pré-aux-Clercs, et dans les Puritains, Elvire : Rendetemi la speme o lasciate mi morir. Quoi qu’il en soit, le Pré-aux-clercs d’Hérold est, comme les Puritains de Bellini, une partition pénible à entendre. Cette mélancolie profonde qui déborde finit par pénétrer en vous. Chaque note vous révèle une souffrance de l’auteur, chaque mélodie un pressentiment douloureux, et votre cœur se navre en entendant cette musique où l’ame de ces nobles jeunes gens semble s’être exaltée, cette œuvre écrite pendant les nuits de fièvre, et dont la mort recueillait chaque feuillet. — Puisque l’administration voulait donner quelque solennité à la reprise du Pré-aux-Clercs, elle aurait dû apporter à l’exécution plus de soin qu’elle n’a fait. On a bien mis en avant les meilleurs sujets dont on dispose, mais les études ont manqué. Ces voix, assez convenables, du reste, quand elles chantent seules, ne savent ni s’accorder entre elles ni se fondre. Aussi c’est une chose déplorable que la manière dont on exécute le charmant trio du troisième acte. À la quatrième mesure, les chanteurs commencent à s’apercevoir un peu tard qu’ils chantent faux horriblement, et, de peur que le public ne manifeste sa mauvaise humeur, ils prennent le parti de baisser la voix au point qu’on finit par ne plus les entendre : c’est bien quelque chose de gagné ; mais ne vaudrait-il pas mieux, à ce compte, ne pas chanter du tout ? M. Roger, qui joue le rôle de Mergy, possède une voix de tenor assez agréable, et, s’il voulait s’en tenir à chanter la note, on n’aurait rien à dire. Malheureusement Rubini lui tourne la tête, et cette fièvre d’imitation, qui le travail-