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REVUE. — CHRONIQUE.

teintes que Mlle Grisi touche avec une délicatesse si exquise et qu’il faut lui laisser.

Le théâtre de l’Opéra-Comique possède maintenant la salle la plus élégante et la plus sonore que nous ayons : c’est à lui de savoir comprendre les exigences de son nouvel état. Aujourd’hui que toutes ces restaurations sont accomplies, qu’il a multiplié les lustres et les glaces, rembourré les banquettes, peint les murailles à neuf, il s’agit de s’occuper un peu de la musique. Dans cette salle que les Italiens ont tenue, les ariettes de la place de la Bourse ne seraient plus de mise, et, si le vieil Opéra-Comique s’obstinait à venir roucouler ses pauvres chansons sur cette scène où fut Rubini, tout le monde lui rirait au nez. Nous ne prétendons pas ici que l’administration doive renoncer complètement à un genre qui a fait si souvent sa fortune ; mais n’est-il pas un moyen de tout concilier, d’entrer dans une voie plus large, de satisfaire aux exigences nouvelles, sans rompre avec son passé ? L’Opéra-Comique joue tous les jours ; pourquoi n’alternerait-il pas ? Sans ce projet d’agrandir le répertoire, quelle raison auraient les derniers engagemens qu’on a faits ? Est-ce une cantatrice d’opéra-comique, Mme Eugénie Garcia, cette voix de contralto que le dialogue embarrasse, et qui ne trouve de puissance et d’effet que dans l’expression dramatique ? Et M. Marié, M. Masset, comment les emploierez-vous en dehors de l’action musicale ? Il faut aujourd’hui des ouvrages largement accusés, où la musique tienne la plus grande place, des opéras enfin. La Cenerentola, la Straniera, la Lucia, Freyschütz, sont des opéras-comiques à leur manière. Voilà le genre où vous devez incliner, le seul qui convienne aux chanteurs que vous avez, le seul que le public puisse adopter à Favart. Après cela, l’Ambassadrice, le Domino noir, Zanetta, auront leurs jours dans la semaine, et l’accueil gracieux du public ne leur manquera pas. Donizetti n’exclut pas M. Auber, pas plus que Mme Garcia n’exclut Mme Damoreau. Tout au contraire, ces élémens, loin de se nuire, doivent se venir en aide l’un à l’autre, et c’est d’une combinaison intelligente des deux genres que dépendent la variété du répertoire et la fortune du théâtre.


L’Opéra change de directeur : le gouvernement de l’Académie-Royale passe des mains de M. Duponchel dans celles de M. Léon Pillet. M. Monnais, qu’on avait récemment adjoint à l’administration, prend les fonctions de commissaire royal qu’avait M. Billet, et M. Aguado continue à soutenir l’entreprise et va poursuivre à travers de nouvelles combinaisons son rêve de réunion des deux théâtres et de surintendance. Prendre l’Opéra dans les circonstances présentes est un acte de courage dont il faut tenir compte. Jamais, en effet, la situation ne fut plus grave, jamais les embarras et les difficultés de toute espèce ne se multiplièrent davantage. Les partitions et les chanteurs manquent, et le découragement est partout. Trouver des chefs-d’œuvre et des sujets qui les exécutent, vaincre l’indifférence du public, quelle tâche ! mais aussi quelle fortune si l’on réussit ! Prendre l’administration de l’Opéra dans l’état de choses actuel, c’est jouer la fameuse partie de M. Véron en 1830. M. Véron a gagné,