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Cette voix a des maîtres d’escrime, des maîtres à danser, des maîtres de grammaire, de philosophie et de littérature, ni plus ni moins que le bourgeois gentilhomme ; dans quelques années, elle débutera, et fasse le ciel qu’elle n’en vienne pas à regretter ses tonneaux !


Les différends survenus entre l’administration du théâtre de la reine et les dilettanti de Londres sont définitivement levés. M. Laporte, trouvant que Tamburini lui coûtait beaucoup trop cher, avait imaginé de le rayer de ses cadres cette année. Une troupe composée de Lablache, de Rubini et de Mlle Grisi, offrait, à son avis, un ensemble assez imposant ; on en serait quitte pour se passer de deux ou trois chefs-d’œuvre de Rossini et de Cimarosa, ou, s’il fallait absolument produire Otello, la Cenerentola, le Matrimonio, pour avoir recours au premier basso cantante qui se rencontrerait, à quelqu’un de ces pauvres diables toujours en humeur d’affronter les risées d’une salle. Par malheur, le public de Londres a refusé d’entrer pour sa part dans ces calculs d’économie, et les hostilités ont commencé, l’irritation des avant-scènes était au comble. Toutes les fois que la reine n’assistait pas au spectacle, c’était un bruit à ne pas s’entendre, un tumulte qui a fini par déplaire à ces voix accoutumées à ne s’élever que dans le silence. Force a été à l’impresario de fléchir et de céder à cette émeute que dirigeait en personne un prince du sang. On a nommé des arbitres ; le comte d’Orsay a prononcé, et Tamburini chante. Mais là ne devait point s’arrêter cette curieuse affaire. M. Laporte, au lieu de se tenir pour battu, a voulu encore se mettre en frais d’éloquence, et vient de répandre partout un factum des plus singuliers dans lequel il dit tout net au jeune duc de Cambridge qu’il est un libertin, un niais, un petit colonel de salon, et que la reine a fort bien fait de ne pas le prendre pour mari ; tout cela parce que le jeune duc, qui raffole de musique, use de son influence et de ses droits d’abonné pour empêcher un comparse de tenir l’emploi de Tamburini. Les noms de Mlle Grisi et de lord Castlereagh reviennent de temps en temps dans ce pamphlet, et font un cliquetis de scandale des plus agréables. Voilà certes bien du bruit pour une assez mesquine affaire. En France, les administrations s’exécutent de meilleure grace, et le ridicule ne va jamais si loin.


M. Calamatta vient de graver avec un rare bonheur le portrait de M. Molé[1], peint en 1834 par M. Ingres. Ce portrait, remarquable à tant d’égards, qui n’a pas été exposé au Louvre, mais que M. Ingres a montré dans son atelier à de nombreux visiteurs, a trouvé dans M. Calamatta un digne et fidèle interprète. Le rôle que M. Molé a joué récemment dans le gouvernement du pays assure à cet ouvrage un accueil empressé. La ressemblance est frappante, et toutes les qualités du maître sont reproduites avec une exac-

  1. Chez Rittner et Goupil, boulevart Montmartre.