Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/896

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
892
REVUE DES DEUX MONDES.

but qu’il explique dans sa préface ; ce but consiste à rattacher l’objet particulier de chaque fragment à des considérations d’un ordre général sur l’histoire des littératures, leur développement individuel, et leurs mutuels emprunts, leurs rapports avec les révolutions des institutions et des mœurs et le mouvement des sociétés. La première partie du livre est consacrée à l’histoire de la poésie latine, et je ne saurais dire vraiment avec quel charme d’esprit, quelle exactitude et quelle étendue d’érudition l’auteur a su rendre toujours attachant, nouveau même, un sujet qui est en possession depuis long-temps d’exercer tout à la fois les esprits les plus patiens, les plus graves et les plus déliés. Après avoir constaté l’utilité des études classiques, M. Patin retrace sommairement l’histoire de la poésie latine, depuis ses origines les plus lointaines jusqu’au siècle d’Auguste, et malgré la vaste étendue du sujet et le cadre resserré du travail, ces quelques pages sont déjà complètes. L’auteur nous montre en peu de lignes les grossières et informes ébauches de la poésie romaine au milieu des préoccupations de la guerre et de la conquête, l’effort et l’obstacle, ce que l’Italie reçoit de la Grèce, comment Rome la maîtresse absolue reste, dans le domaine de l’intelligence, la tributaire d’Athènes, comment elle cherche à s’affranchir de ce servage, quel cachet propre elle imprime à ses imitations. Le double travail de la pensée et de la langue se découvre ; chaque progrès est noté, chaque débris relevé de la poussière. Le procédé critique de M. Patin rappelle souvent la méthode supérieure de M. Sainte-Beuve. Il cherche, comme lui, dans tous les mystères de la vie, les influences secrètes, humaines, qui ont fait l’écrivain, et il aborde de même avec élévation et vivacité, à propos du détail intime, l’enseignement sévère et le côté grave et moral des choses. Envisagée de ce point de vue, l’histoire des œuvres et de la vie d’un homme célèbre, qu’il appartienne à la société antique ou à la société moderne, en mettant au grand jour les secrets les plus élevés de sa raison, les règles de sa conduite, ses vertus de citoyen ou d’homme privé, sera toujours pour tous une profitable leçon. Un excellent morceau critique, de l’influence de l’imitation sur le développement des littératures, sert de transition entre l’étude de l’antiquité et celle de la littérature moderne. De Thou, Bossuet, Lesage, Rollin, et quelques noms plus récens, ont fourni à M. Patin le sujet de charmantes études ; on y retrouve, comme dans la partie antique du volume, les plus excellentes qualités d’esprit et de style, et il est facile de reconnaître qu’en vivant dans la longue intimité des maîtres, l’auteur a gardé quelque chose de leur élégance et de leur manière ; toutefois la partie neuve, originale du volume se trouve surtout dans les fragmens relatifs à l’antiquité. M. Patin, dans ces fragmens détachés d’un tout complet, a constitué une manière nouvelle. Il a montré tout à la fois les connaissances philologiques les plus étendues, une patience de recherches qui peut défier la patience allemande, et le sentiment le plus élevé, le plus juste de la vie et de l’art antique. Ces trop courts morceaux font vivement désirer la prochaine publication de l’Histoire de la Poésie latine. Débris dispersés d’une vaste mosaïque, ils suffisent à révéler les vraies beautés du monument, et du portique nous voyons déjà tout l’ensemble : atria longa patescunt.


V. de Mars.