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MORT DU COMTE D’ESPAGNE.

armes, il monta à cheval, et, se séparant de la division de l’état major, il alla coucher à la maison de campagne dite vilata de Marlès[1].

Pendant toute cette nuit, il ne dormit ni ne se déshabilla. Il visita souvent les armes des gendarmes de son escorte, pour s’assurer si elles étaient chargées et amorcées.

À la pointe du jour, il monta à cheval et se dirigea sur Berga, où il resta cinq jours renfermé dans sa chambre, sans recevoir personne. Peut-être passa-t-il ce temps à réfléchir sur sa situation et à méditer contre ses ennemis une de ces sanglantes combinaisons qui lui étaient si familières. C’est ce que pensèrent tous ceux dont il était bien connu lorsqu’ils virent qu’il faisait venir dans Berga le bataillon no 7, appelé infante don Sebastian, qui se trouvait sous les ordres du commandant don Juan Gomez ; ce bataillon avait servi de modèle pour organiser et discipliner toute l’armée, et il était, jusqu’au dernier soldat, tellement dévoué à son général, qu’on l’appelait la garde royale du comte d’Espagne. L’arrivée de ce renfort à Berga remplit d’épouvante les conjurés ; mais ils étaient trop avancés pour reculer, et ces précautions n’eurent d’autre résultat que de précipiter la catastrophe.

Toute démonstration ostensible était impossible, et la junte ne l’ignorait pas. Un ordre formel du prétendant n’aurait peut-être pas suffi pour ôter au comte d’Espagne le commandement de l’armée ; la discipline qu’il avait établie lui répondait d’une obéissance passive. Il avait à Berga le bataillon no 7, qui, au moindre signe de sa part, eût exterminé tous ceux qui se fussent permis la moindre manifestation. Tout près de là, à Caserras, se trouvait la 1re division aux ordres du brigadier Perez de Avila. La division d’avant-garde avec la cavalerie sous les ordres du colonel Camps était également à peu de distance de Berga. Aussi eut-on recours à la ruse pour arriver au but qu’on se proposait.

Pour que la place de Berga fût dégagée de bouches inutiles en cas de siége ou d’attaque, le comte avait décidé que la junte sortirait de la ville pour aller tenir ses séances à Avia, bourg situé à une demi lieue de là. C’est dans ce bourg qu’était le centre de la conjuration ;

  1. L’anecdote suivante fera connaître la démence du comte. Le propriétaire de Casa-Vilata de Marlès était très riche et vieux garçon ; le comte le fit venir devant lui, et lui dit que, pour être utile à la société, il devait se marier et faire le bonheur de quelque honnête demoiselle. Le célibataire résista, et, pour le punir, le comte lui laissa une compagnie entière à loger et nourrir. Bientôt après nouvelle sommation, nouvelle résistance, envoi d’une seconde compagnie. Le nombre des soldats garnisaires augmentant toujours, le célibataire ne vit pas d’autre parti pour ne pas se ruiner que de prendre femme, et le comte assista à la noce. Le propriétaire de Casa-Vilata de Marlès s’est d’ailleurs très bien trouvé de ce changement de condition.