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ordinaire du comte, don Francisco Llabot dit Caragolet plaça des sentinelles autour de la maison, avec la consigne de n’en permettre l’entrée et la sortie à personne sans la permission préalable du chef.

Ces dispositions prises, et après qu’on eut fait avertir les chanoines Milla et Sanpons, Ferrer entra dans la salle et annonça l’arrivée de ces deux membres de la junte, qui entrèrent en effet. Le comte ouvrit aussitôt la séance et commença à parler ; mais Ferrer, se levant alors le pistolet au poing, l’interrompit d’une voix terrible, lui signifiant qu’il avait cessé, par ordre du roi, d’être commandant-général de la Catalogne, et qu’il devait livrer son épée et son bâton de commandement. Le comte, surpris, répondit cependant avec beaucoup d’énergie qu’il honorait la volonté de son souverain, que dès qu’on lui aurait montré ses ordres écrits, il résignerait le commandement, mais qu’il ne céderait point à la violence. À ces paroles, qu’il prononça en mettant la main sur la garde de son épée, on ouvrit les rideaux de l’alcôve qui se trouvait derrière lui ; deux hommes armés en sortirent précipitamment et appuyèrent les canons de leurs pistolets sur sa poitrine. L’un de ces hommes était Ferrer, chirurgien de l’hôpital militaire de Berga, frère du prêtre, l’autre un étudiant en droit nommé Fransech del Pual. Le comte ne montra pas de faiblesse à cette vue, il protesta de nouveau contre ce guet-apens. Alors le curé Ferrer, tenant à la main gauche un pistolet armé, s’approcha de lui et lui asséna sur la tête un coup de poing si violent, qu’il l’étendit par terre sans connaissance. Les deux assassins, qui étaient sortis de l’alcôve, lui arrachèrent l’épée et le bâton de commandement.

Le superbe comte d’Espagne resta quelque temps par terre sans reprendre ses sens. Lorsqu’il revint à lui, il se mit sur son séant, et d’une voix plaintive il demanda un verre d’eau, qu’on lui refusa… Tournant ses yeux abattus vers son ancien conseiller et ami, l’avocat célèbre de Barcelonne, don Ignacio Audreu y Sanz, membre de cette terrible junte, il lui demanda conseil ; mais Sanz lui tourna le dos en répondant : Il est trop tard.

Tandis que ceci se passait, le secrétaire du comte, don Louis Adell, se présentait à la porte de la maison : on le laissa pénétrer à l’entrée du rez-de-chaussée sans rien lui dire ; mais à peine était-il entré, qu’on se saisit de sa personne ; on le fit monter au second étage, où il fut maintenu en état d’arrestation et gardé à vue pendant quatre jours sans qu’il sût ce qui venait de se passer.

Entre dix et onze heures de la nuit, les conjurés et les assassins poussèrent le malheureux comte sur l’escalier étroit conduisant de l’habitation du curé à l’église. À la porte se trouvait une mule sur